Avec la crise du coronavirus, la situation des réfugiés s’aggrave. Plutôt que de chercher des alternatives humanitaires et responsables vu l’enjeu de santé publique, l’Europe préfère muscler son discours et sa politique de fermeture des frontières. Elle apporte peu de solutions aux populations des îles grecques et aux ONG qui doivent faire face seules au défi de l’accueil…

Depuis la crise de l’accueil de 2015, les camps de réfugiés en Grèce n’ont jamais désempli. On y dénombre des milliers de personnes, de familles et de mineurs non accompagnés qui ont fui le chaos et la violence créés par les interventions successives en Afghanistan, Irak et Syrie. Les « hotspots » (centres mis en place par la Commission européenne pour identifier, enregistrer et prendre les empreintes digitales des migrants) sur les îles grecques se sont transformés en véritables prisons à ciel ouvert où les conditions sanitaires sont terribles. Un camp comme celui de Vial par exemple est fait pour 1 500 personnes, mais « accueille » plus de 6 000 migrants, pour seulement 14 douches. Les abris sont faits à la main, au milieu d’anciens vergers d’olivier. Les tentative de suicide sont récurrentes, notamment chez les mineurs non accompagnés. Ce sont les ONG les principales actrices de l’aide humanitaire sur place.
1 robinet pour 1 300 personnes
Le 11 mars 2020, l’OMS (Organisation mondiale de la santé) déclare que l’épidémie du Covid-19 est une pandémie (épidémie présente sur une large zone géographique). L’Europe, comme le reste du monde, connaît une des plus graves crises sanitaires de son histoire. Après les premiers signaux de coronavirus parmi des réfugiés sur l’île grecque de Lesbos, Médecins Sans Frontières (MSF) tire la sonnette d’alarme : « Dans le camp de Moria, il y a seulement 1 robinet pour 1 300 personnes et le savon n’est pas disponible. Les familles de cinq ou six personnes doivent dormir dans moins de 3m2 sous des bâches. Cela signifie que les mesures de prévention sont tout simplement impossibles », explique le Dr Vochten, coordinateur médical de MSF en Grèce.1
Nassir, réfugié syrien d’environ trente ans retenu dans un camp de Lesbos, vient d’être papa d’une petite fille. Il raconte : « Dix fois par jour, des hauts parleurs nous disent qu’il faut garder les distances et rester chez nous. Mais où vivent-ils ? Ils ne voient pas que lorsqu’on fait la queue des heures pour manger ou se laver, qu’on est à quelques centimètres les uns des autres ? Ils ne voient pas que les poignées des portes des douches sont touchées une centaine de fois en une heure par des gens qui ne portent pas de gants car ils n’en ont pas ? Ils ne voient pas qu’on s’assoit tous sur les mêmes toilettes jamais désinfectées ? »2 Nassir, comme la plupart des quelque 20 000 personnes qui survivent dans le camp de Moria (d’une capacité théorique de 3 000 places…), lit ces affichettes placardées qui demandent aux gens de se confiner « car il n’y a aucun cas de coronavirus détecté à Moria et qu’il faut se préserver ». Il préfère ironiser. « Quel imbécile a pu écrire ça ? Comment peuvent-ils savoir qu’il n’y a aucune personne positive puisqu’aucun test n’est réalisé ? Ils veulent juste éviter la panique par tous les moyens. »3
L’arrivée du coronavirus dans les camps de réfugiés surpeuplés et insalubres représente un réel danger. « Avec la propagation de la pandémie, notre réponse doit inclure les plus vulnérables de nos sociétés, y compris des millions de réfugiés et autres victimes de guerres, de persécutions et de catastrophes », a déclaré le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés Filippo Grandi. « Les communautés qui les accueillent, ont désespérément besoin de notre aide pendant cette crise mondiale », ajoute-t-il. La vie de milliers de personnes est directement menacée par le virus. Laisser la Grèce seule face à ce défi aurait des conséquences en cascade sur la santé publique.
Malgré la crise sanitaire, la réponse de l’Europe ne change pas
Lorsqu’il y a quelques semaines, la Turquie a menacé de rouvrir ses frontières européennes aux réfugiés, la pression sur les îles grecques a encore augmenté. L’État grec a immédiatement suspendu pendant un mois l’acceptation des demandes d’asile et a demandé le soutien de Bruxelles pour « défendre ses frontières ». Le président du Conseil européen Charles Michel a assuré que l’Europe « soutient les efforts grecs pour protéger les frontières européennes ». Quant à la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen, elle « remercie la Grèce d’être en ce moment notre bouclier européen ».
Le 3 mars 2020, ce sont 700 millions d’euros qui ont été débloqués par l’UE : un navire « offshore », six bateaux de patrouille de gardes-côtes, deux hélicoptères, un avion, trois véhicules à vision thermique, 100 officiers supplémentaires (pour 530 actuellement déployés).4 L’UE a envoyé des équipes militaires d’intervention rapide aux frontières (RABITS) de son agence Frontex pour aider au refoulement des réfugiés.5 Les opérations des garde-côtes grecs se sont multipliées, certaines patrouilles tirant à balles réelles sur les canots pneumatiques.6 En mars 2020, la barre tragique des 20 000 morts en Méditerranée depuis 2014 a été franchie.
Pour respecter le droit humanitaire et pour éviter une crise sanitaire qui toucherait l’ensemble de la population, un vrai plan de répartition solidaire des réfugiés entre pays européens est nécessaire. Un tel plan a bel et bien été discuté en mars 2020. Mais l’application des décisions reste tributaire de la bonne volonté des Etats membres. Cela rend tout accord inefficace dans les faits, comme le montrent les résultats des précédents plans de répartition : seulement 17 % des réfugiés qui auraient dû changer d’endroit l’ont vraiment fait, deux ans après la crise de 2015 (année record où on comptait 19,5 millions de réfugiés dans le monde).7
Respect du droit international et solidarité européenne
L’Europe doit changer de cap. Son système, dit de « Dublin », qui renvoie les demandeurs d’asile vers la Grèce et l’Italie, le refoulement illégal des réfugiés qui arrivent sur son territoire, la militarisation de ses frontières et la sous-traitance de sa politique migratoire à des pays tiers doivent s’arrêter. A la place, il est nécessaire de garantir à chaque personne la possibilité d’entamer une procédure de demande d’asile, conformément à ce que prévoit le droit international. Il faut pour cela mettre en œuvre une répartition solidaire des réfugiés entre les pays européens. C’est d’autant plus urgent qu’il faut évacuer les personnes vulnérables des camps insalubres situés dans des régions comme les îles grecques qui n’ont pas les infrastructures de soin suffisantes.
Plutôt que de fermer purement et simplement l’Office des Étrangers à Bruxelles – comme cela s’est produit durant le premier mois de la crise sanitaire –, il faut garantir un service d’introduction de la demande d’asile qui donne accès aux structures d’accueil (digitalement, par téléphone, etc.). Il n’est ni responsable ni acceptable que les familles qui arrivent, après avoir fui la guerre et la misère et après avoir subi une traversée éprouvante, se retrouvent à la rue, sans aucune solution de soin et d’hébergement. En parallèle, il est important de pouvoir dépister les réfugiés au Covid-19 afin de pouvoir isoler les personnes contaminées et de soigner ceux qui en ont besoin. Plutôt que de continuer à héberger les demandeurs d’asile dans des centres surpeuplés, sans hygiène ni dépistage, plutôt que de continuer à détenir arbitrairement des personnes sans titre de séjour dans des centres fermés où les conditions sanitaires sont déplorables, il faut pouvoir réquisitionner des hôtels et des infrastructures actuellement vides, pour permettre des conditions correctes et réalistes de confinement.
Sur le long terme, il est nécessaire que nos pays arrêtent de mettre de l’huile sur le feu. Ils doivent mener une politique basée sur la diplomatie ayant la paix pour seul objectif. Cela veut dire qu’ils doivent cesser de s’engager dans des bombardements, de prendre parti dans les conflits armés, de soutenir des factions les unes contre les autres, d’imposer des politiques commerciales inéquitables et de favoriser l’exploitation des peuples et des ressources pour les profits de leurs multinationales.
L’Union européenne sauve son libre marché à l’intérieur en devenant une forteresse à l’extérieur Pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui avec les réfugiés bloqués en Méditerranée, il faut revenir à 2015. Cette année là, des millions de personnes fuient la guerre en Syrie. Ils viennent gonfler les rangs des exilés d’autres guerres venant d’Irak ou d’Afghanistan. Vu la saturation des régions frontalières, vu aussi l’appel de l’Allemagne dont l’industrie a besoin d’une main d’œuvre jeune et qualifiée, une partie des réfugiés tente d’atteindre la Grèce par la mer. La plupart des pays européens tentent alors de s’opposer à l’arrivée des réfugiés, certains pays ferment leurs frontières. Cela met à mal « l’espace Schengen » de libre circulation des personnes et des marchandises. Vu l’enjeu économique, la réaction de l’Europe ne se fait pas attendre : en quelques semaines, un accord entre l’Union européenne et la Turquie, entre en vigueur afin de refouler systématiquement tout réfugié vers la Turquie. Théoriquement l’UE verse de l’argent à la Turquie en contrepartie et reprend des réfugiés syriens dûment identifiés par la suite. Cet accord est illégal au regard du droit international qui prévoit que les réfugiés puissent déposer une demande d’asile dans un pays et qui impose aux États de statuer sur les demandes au cas par cas. Pour trier les réfugiés, des « hotspots » (centres d’identification) sont mis en place sur les îles grecques notamment. Les autorités des différents pays interviewent à la va-vite les personnes qui arrivent avant de les renvoyer en Turquie. Depuis lors, les plans de relocalisation annoncés n’ont pas été suivis d’effets, les hotspots n’ont pas désempli et les conditions sanitaires et humanitaires n’ont fait que se détériorer. Plutôt que de changer de cap, l’Europe a poursuivi sa politique. ● A l’intérieur, l’UE applique un système de renvoi des demandeurs d’asile vers les pays d’entrée comme la Grèce et l’Italie. C’est le système « Dublin » qui fait peser tout le défi de l’accueil sur des pays qui n’ont pas la capacité de le relever. ● Aux frontières, l’UE renforce les missions de son agence paramilitaire « Frontex » qui a vu son budget considérablement augmenter, jusqu’à 1,5 milliard d’euros par an.8 ● A l’extérieur, l’UE sous-traite la prise en charge des réfugiés à des pays tiers, où les conditions d’accueil sont déplorables et les droits humains pas respectés. On pense à la Libye notamment où les milices locales reçoivent de l’argent et des moyens pour retenir les réfugiés. Si la population locale continue d’aider les réfugiés, des groupes d’extrême-droite liés aux néo-nazis d’Aube Dorée9 parviennent à capter la colère compréhensible d’une autre partie de la population. Ces groupes commencent à faire régner leur loi, installent des check point et patrouillent dans les quartiers. Ils agressent violemment les réfugiés, les volontaires des ONG et les journalistes. L’aide humanitaire, déjà très insuffisante, est entravée. La montée de l’extrême-droite, c’est une autre conséquence du manque de réponse européenne à la crise humanitaire… |
1. http://www.vita.it/it/article/2020/03/13/il-coronavirus-arriva-a-lesbo-msf-evacuare-i-campi-profughi-in-grecia-/154431/
2. https://www.lalibre.be/international/europe/lesbos-chronique-d-une-catastrophe-ignoree-on-s-assoit-tous-sur-les-memes-toilettes-jamais-desinfectees-on-fait-la-queue-des-heures-pour-manger-ou-se-laver-a-quelques-centimetres-les-uns-des-autres-5e80dc75d8ad58163187d571
3. https://plus.lesoir.be/286961/article/2020-03-13/migration-au-moins-1600-mineurs-seront-relocalises-depuis-la-grece
4. https://plus.lesoir.be/284433/article/2020-03-03/migrants-halte-la-leurope-renforce-son-bouclier-grec
5. https://www.cire.be/crise-a-la-frontiere-greco-turque/
6. « A Lesbo finisce l’Europa »-Internazionale 3/3/2020
7. https://www.cncd.be/La-relocalisation-europeenne-des
8. https://www.ifrap.org/europe-et-international/frontex-ou-en-est
9. “Chi sono i greci che attaccano le ONG a Lesbo”- Internazionale 06/03/2020