« La mort, nous ne l’accepterons pas »

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Photo SOS Méditerranée

356 réfugiés qui se trouvaient à bord du navire Ocean Viking de l’organisation de sauvetage « SOS Méditerrannée » ont été autorisés à débarquer à Malte. Un accord européen les répartira entre 6 États membres. Un sauvetage de plus, alors que des milliers de personnes continuent de périr en tentant de fuir la misère africaine. Rencontre avec David Starke, directeur général de l’organisation de sauvetage « SOS Méditerranée Allemagne ».

Au terme de longues recherches, vous avez fini par trouver un nouveau navire pour mener des missions de sauvetage en Méditerrannée, l’ « Ocean Viking ». Pouvez-vous nous le décrire ?

David Starke. Le navire a été bâti en 1986. Il mesure 70 mètres de long, 15 mètres de large et a été conçu en tant que navire de sauvetage, par exemple pour sauver et soigner des travailleurs lors d’accidents sur des plates-formes de forage en mer. Nous l’avons fait affréter par un armateur norvégien avec notre partenaire « Médecins sans Frontières » (MSF), puis il a été rénové et réaménagé sur un chantier naval à Szczecin, en Pologne. Des abris pour les femmes et les enfants, mais aussi pour les hommes sont prévus sur le pont arrière. Il y a aussi un poste médical géré par notre partenaire MSF.

Vous avez dû abandonner l’« Aquarius » fin 2018. C’était le plus grand navire actif en Méditerrannée. Est-ce aujourd’hui le cas de l’« Ocean Viking » ?

David Starke. Oui. Le navire est aménagé de manière à pouvoir accueillir plusieurs centaines de passagers pour une courte période. Ainsi, lorsque nous avons déjà des rescapés à bord et que nous tombons sur des personnes en détresse en mer, nous sommes en mesure de les accueillir, même si nous sommes un peu à l’étroit pendant quelque temps. Cela étant, il faut préciser que, tout comme l’« Aquarius », il est prévu pour répondre à des situations d’urgence, pas pour héberger des gens pendant des semaines.

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Photo SOS Méditerranée

Que pouvez-vous nous dire de la situation actuelle en Méditerrannée ?

David Starke. Des gens se noient, encore et toujours. On a déjà recensé cette année 426 morts, mais les chiffres réels sont probablement plus élevés. Et pourtant, l’UE a décidé de ne plus participer aux opérations de sauvetage en mer. Mais la mort, nous ne l’accepterons pas. Pour nous, il est important de savoir que nous respectons les principes du droit maritime lorsque nous sauvons des gens et les amenons à bon port.

Le devoir de sauver les personnes en détresse en mer est aussi ancien que la navigation elle-même …

David Starke. Absolument. Je discutais récemment avec un collègue issu d’une vieille famille de pêcheurs bretonne. Il me disait ceci : bien sûr, il faut que vous vous appuyez sur des conventions du droit maritime pour argumenter vos opérations de sauvetage, mais pour nous, pêcheurs, si l’on rencontre une personne en détresse, on ne la laisse pas se noyer. C’est un devoir en mer.

Un argument, principalement avancé par la droite, est que les personnes que vous sauvez ne sont pas des naufragés dans la mesure où elles se sont mises consciemment en danger. Que répondez-vous à cela ?

David Starke. C’est absurde. Si un automobiliste percute un arbre, personne ne vient dire qu’il faut le laisser ce vider de son sang parce qu’il roulait trop vite et que c’est donc sa faute s’il a eu un accident.

On parle aussi souvent d’un prétendu « appel d’air », à savoir que c’est la présence de vos navires qui inciterait les gens à prendre la mer.

David Starke. Cela fait longtemps que cet argument a été contredit. Les gens fuient la guerre civile qui fait à nouveau rage en Libye. Ils fuient la torture et la mort. J’ai travaillé en Turquie de 2013 à 2016 et j’ai eu l’occasion de beaucoup discuter avec des personnes qui avaient fui la terreur de l’État Islamique, des violences effroyables. Ils disent que se noyer en Méditerrannée leur est égal, pourvu qu’ils puissent échapper à ces atrocités. Ce ne sont certainement pas les quelques navires d’ONG qui les incitent à partir.

L’arrestation de la capitaine allemande Carola Rackete sur l’île de Lampedusa a relancé le débat sur les sauvetages en mer. Que va-t-il se passer maintenant ?

David Starke. Nous exigeons un plan européen de sauvetage en mer, mais sommes suffisamment réalistes pour nous rendre compte que parvenir à nos fins prendra du temps. Il faut donc trouver une autre solution entretemps. Il peut s’agit d’un système provisoire de répartition des rescapés, afin d’éviter que les situations d’impasses que nous avons connues ces derniers mois ne se répètent. Une coalition de pays prêts à apporter leur aide aux réfugiés en mer est en train de se constituer. Nous appelons les gouvernements et l’UE à autoriser les personnes à être amenées à terre. Nous avons besoin d’une solution fiable.

 

Interview initialement publiée dans le journal Junge Welt. Interview réalisée par Kristian Stemmler.

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