Comment un pacte de coopération internationale en matière migratoire devient un sujet de tensions en Belgique ?

 

Le Pacte de l’ONU sur les migrations vise à renforcer la coopération internationale en matière de migrations, à garantir le respect des droits de l’Homme et à lutter contre les passeurs. A aucun moment ce Pacte ne plaide pour une perte de contrôle des Etats sur leurs frontières, mais il entre en contradiction avec la vision de la N-VA d’une Europe « libérée » des droits de l’Homme et qui impose ses vues à ses voisins par le « bâton ».

Auteur: Maxime Vancauwenberge

Face à l’augmentation des migrations à travers le monde et dans l’anticipation des migrations à venir liées aux changements climatiques, l’objectif à travers ce pacte est de faciliter des migrations sûres, ordonnées et régulières, tout en respectant la souveraineté des États et en luttant contre la traite de personnes et le trafic de migrants. « Nous avons réfléchi aujourd’hui à la meilleure stratégie que la communauté internationale pourrait mettre en place pour répondre au phénomène mondial des déplacements massifs de réfugiés et de migrants, qui prend de plus en plus d’ampleur » peut-on lire. Contrairement à ce que tente de faire croire l’extrême-droite en Europe, à aucun moment, le texte ne crée un ‘droit à la migration’ ou ne plaide pour une perte de contrôle des États sur leurs frontières.

Que dit le Pacte de l’ONU ?

 Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières qui fait aujourd’hui débat doit être signé le 10 et 11 décembre à Marrakech. Il vise en premier lieu à améliorer la coopération en matière de migration internationale. Il établit « un cadre de coopération juridiquement non contraignant […] sachant qu’aucun État ne peut gérer seul la question des migrations, et respecte la souveraineté des Etats et les obligations que leur fait le droit international ». L’objectif à travers ce pacte est de faciliter des migrations sûres, ordonnées et régulières, tout en respectant la souveraineté des États et en luttant contre la traite de personnes et le trafic de migrants.

Le Pacte de l’ONU sur les migrations vise notamment à « protéger tous les travailleurs migrants de toute forme d’exploitation et de maltraitance, afin de garantir un travail décent ». Parmi les mesures recommandées se trouvent par exemple le fait de s’assurer que les travailleurs migrants bénéficient de contrats de travail écrits et qu’ils soient informés de la réglementation, le renforcement des contrôles des employeurs dans l’application des normes relatives aux conditions de travail, le droit à un salaire égal aux autres travailleurs, etc. Des mesures qui permettraient d’éviter que les travailleurs migrants soient utilisés comme main-d’oeuvre corvéable à merci dans certains secteurs.

Le Pacte insiste également beaucoup sur l’importance des droits de l’Homme et du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les mots « droits de l’Homme » apparaissent à 57 reprises dans le texte de l’ONU, alors qu’ils n’apparaissent par exemple à aucun moment dans la Note de politique générale sur l’Asile et la Migration de Theo Francken. Parmi les mesures préconisées, le texte de l’ONU souhaite par exemple trouver des solutions en faveur des migrants contraints de quitter leur pays d’origine en raison de la dégradation de l’environnement en prévoyant « des options de réinstallations planifiées ». Le texte s’oppose également à la politique de « pushback » que Francken défend farouchement et que l’UE applique notamment avec la Libye. L’enfermement de migrants ne doit être qu’une solution de dernier recours pour l’ONU, et les États devraient privilégier des solutions de rechange, « en particulier pour les familles et les enfants ». Un principe qui entre en contradiction avec la politique du gouvernement qui vient tout juste de rouvrir des places en centres fermés pour pouvoir y placer des familles avec enfants.

L’ONU souhaite également « combattre le trafic de migrants, de manière à mettre fin à l’impunité des passeurs et à endiguer le phénomène des migrations irrégulières ». Le texte fait également la distinction entre les personnes fuyant la guerre ou des persécutions et qui ont droit au statut de réfugié et les personnes n’y ayant pas droit. L’ONU précise également qu’il « respecte la souveraineté des États », « le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales » et le droit des États « d’opérer la distinction entre migrations régulières et irrégulières ». A aucun moment donc, le texte ne plaide pour une perte de contrôle des États sur leurs frontières comme tente de le faire croire l’extrême droite.

L’Europe du « bâton » et « libérée » des droits de l’Homme de la N-VA

La N-VA estime cependant aujourd’hui que « le contenu du Pacte de l’ONU sur les migrations est extrêmement problématique. Le texte va à l’encontre de notre vision sur les migrations et selon nous également à l’encontre de la politique du gouvernement ». Dans son livre (« Continent sans frontière »), Theo Francken plaide pour une « Europe judéo-chrétienne » forte, qui use « de la carotte et du bâton » afin de « créer une périphérie d’États voisins qui, respectant et craignant à la fois la puissance économique de l’Union européenne, choisiront de coopérer intensivement avec celle-ci sur le plan politique, économique, sécuritaire et migratoire ». En clair, une vision des relations internationales où l’Union Européenne impose ses vues aux États voisins, qui « choisiront » (sic) de coopérer sous la menace du « bâton ». Sur la question des réfugiés, Francken ne veut pas entendre parler de solutions communes non plus. « Vous ne vous installerez pas en Europe », titre de l’une des parties dans son livre, est le message qu’il souhaite envoyer aux personnes qui fuient la guerre ou des persécutions. Theo Francken veut au contraire parquer l’ensemble des réfugiés qui tentent d’atteindre l’Union européenne en Tunisie, pays pauvre de 11 millions d’habitants. Loin donc d’une vision basée sur la coopération internationale et le respect des droits de l’Homme.

La N-VA estime par ailleurs que la politique belge et européenne en matière migratoire est trop « figée par les règles de droit internationales et européennes » et trop « rigoureusement contrôlée […] par les cours de justice européennes ». Dans son livre, Francken estime ainsi que le célèbre article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme interdisant de soumettre une personne à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants ne devrait pas pouvoir être invoqué en matière migratoire, en particulier lorsqu’il s’agit d’expulser des migrants. Or, le Pacte de l’ONU sur les migrations repose sur le respect des droits de l’Homme. Même s’il n’est pas contraignant, il représente un rejet de la vision défendue par la N-VA & co en Europe.

Signer le Pacte pour ne pas l’appliquer ?

« Nous tenons à dire que c’est accord est très problématique. Nous devons à présent trouver une issue à cette situation », indique le ministre de l’Intérieur Jan Jambon. Charles Michel semble cependant bien décidé à signer le Pacte le 10 et 11 décembre à Marrakech. En refusant de signer le texte, la Belgique se retrouverait dans le camp des États-Unis de Donald Trump, de la Hongrie de Viktor Orban, de l’Autriche de Sebastian Kurz au gouvernement avec le parti fasciste FPÖ, et sous les applaudissements du Vlaams Belang en Belgique …

Le Premier ministre ne veut pas perdre la face après avoir affirmé en septembre dernier qu’il signerait le texte et donner une bonne image de la Belgique. D’autant que, comme le soulignait le président Emmanuel Macron lors de sa rencontre avec Charles Michel, le pacte de l’ONU sur les migrations est non-contraignant. En bref, oui pour les droits de l’Homme, surtout quand il ne faut pas les appliquer…

Une crise voulue aussi pour des raisons purement électorales

Des considérations électorales, tant du côté de la N-VA que du MR, jouent également dans les tensions que nous connaissons. La N-VA veut faire du thème des migrations l’un des sujets clés des prochaines élections. La population est en colère face à l’augmentation du prix de l’électricité ou du carburant. De nombreux travailleurs se sont mis en grève ces derniers mois contre la pression de plus en plus grande au travail, comme à Aviapartner ou bpost dernièrement. Le monde du travail continue à rejeter la réforme des pensions du gouvernement. Pour les leaders de la N-VA, il faut tout faire pour ne pas être confronté au bilan de leur politique sociale. Cette crise arrive donc opportunément. D’autant que le parti de De Wever et Francken a perdu beaucoup de voix lors des dernières élections communales au profit du Vlaams Belang et qu’il est sous pression d’une campagne du parti de Filip Dewinter à propos du Pacte de l’ONU.

Pour le MR, il s’agit au contraire de décoller l’image d’un Charles Michel comme marionnette de la N-VA en vue des prochaines élections après les résultats décevant aux élections communales. « Charles Michel n’a jamais été la marionnette de la NVA, […] mais c’est l’image qu’on a voulu donner et qu’il faut décoller », selon Richard Miller, député MR. « Il est évident que tout le monde réfléchit aux élections », assume-t-on chez les libéraux.

Un Pacte insuffisant, mais qui va dans le bon sens

Nous devons imposer que ce pacte soit signé par la Belgique, car il a pour but de trouver des solutions à la question migratoire au niveau mondial, d’empêcher de faire des travailleurs migrants une main d’oeuvre corvéable à merci, repose sur le respect des droits de l’Homme et constitue une avancée par rapport aux politiques migratoires menées actuellement par l’Union européenne et en son sein par les États-membres.

Le Pacte est cependant clairement insuffisant pour mettre fin à la situation qui pousse des millions de gens dans le monde à fuir leur pays à cause de la misère, du réchauffement climatique et des guerres impérialistes. Nous voulons mettre fin aux causes qui obligent des gens à fuir en laissant tout derrière eux en arrêtant de bombarder les pays au Moyen-Orient, en luttant sérieusement contre le réchauffement climatique et en mettant en place une politique commerciale équitable avec les pays du Sud. C’est le grand tabou dans ce débat, car les partis traditionnels ne souhaitent pas remettre en question notre politique extérieure.

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