Le mardi 22 septembre 1998, il y a tout juste 20 ans. Semira Adamu, une jeune fille nigériane de 20 ans, meurt, étouffée par des gendarmes au moment de son rapatriement forcé.
Ce drame marquera profondément le pays et éveillera les consciences de nombreux travailleurs et étudiants à travers le pays et un large mouvement de protestation mènera à la démission du ministre de l’Intérieur de l’époque, le socialiste Louis Tobback.
Semira voulait devenir chanteuse. Mais sa famille avait décidé de la marier à un vieux colonel de 65 ans. Semira avait refusé cet avenir, et était arrivée en Belgique pour chercher un avenir meilleur. Pourtant, dès son arrivée à l’aéroport de Bruxelles, en mars 1998, elle est arrêtée et immédiatement transférée dans le centre fermé 127 bis de Steenokkerzeel. Sa demande d’asile est refusée. Dans le centre, Semira s’oppose aux conditions de vie inhumaines, soutenue par les autres détenus. Après avoir résisté à cinq tentatives d’expulsion, sa cause devient aussi connue à l’extérieur. Des groupes de soutien se mobilisent autour d’elle.
Pour sa sixième tentative d’expulsion, elle est escortée par neuf gendarmes vers Zaventem, pieds et mains menottés dans l’avion. Deux gendarmes l’entourent dans l’avion, avec ordre de maîtriser une gamine de vingt ans qui se battait pour sa vie. Elle chante. Ils l’immobilisent de force sur son siège, et maintiennent de longues minutes sa tête enfoncée dans un coussin, technique alors autorisée par les autorités. Longtemps, dix, quinze longues minutes… Jusqu’à ce qu’elle tombe dans le coma et soit transportée à l’hôpital. Elle y décédera dans la soirée.
Le soir même du 22 septembre, la gendarmerie explique qu’en cas de rébellion, « les mesures de contrainte autorisées sont l’usage des menottes en plastique, et du coussin d’avion, placé sur la bouche et pas sur le nez, afin d’éviter les cris ». Quant au ministre de l’intérieur, Louis Tobback (sp.a), il déclare « qu’a sa connaissance et en attendant les résultats de l’enquête, le refoulement de la jeune Nigérienne s’était déroulé dans les règles ».
Mobilisation citoyenne
Une mobilisation massive se met en place. De nombreux jeunes, des ouvriers et des syndicalistes se mobilisent devant le ministère de l’Intérieur. Les mouvements de jeunes du PTB lancent des appels pour sortir des écoles et des universités. Beaucoup de sans-papiers sont présents et osent pour la première fois se montrer à visage découvert. Des réfugiés entament une grève de la faim de trois jours dans le centre fermé. Les travailleurs de la Sabena lancent un appel à tous les travailleurs de Belgique pour faire une action en hommage à Semira Adamu. La mobilisation grandit. Des milliers de personnes seront dans la rue pour protester contre l’assassinat de la jeune fille et dénoncent la politique d’asile du gouvernement.
Au moment des funérailles, à la cathédrale Sainte-Gudule de Bruxelles, plus de 6 000 personnes participent à la cérémonie. Le cortège qui suit le corbillard est énorme et se transforme en manifestation en direction du bureau national du PS.
Le ministre de l’intérieur Louis Tobback sera contraint de démissionner le 27 septembre, cinq jours après l’assassinat de la jeune fille.
C’est ce même ministre qui, deux ans avant la mort de Semira, avait dit : « Ces réfugiés, ils viennent s’installer ici comme des mouettes sur une décharge publique parce que c’est plus facile que de pêcher chez soi ou de travailler la terre »…
Mawda, 20 ans après
20 ans après, la situation a empiré. Mawda en a été victime. Cette fillette de 2 ans est décédée dans la nuit du mercredi au jeudi 18 mai, des suites d’un coup de feu au visage tiré par la police lors d’une dangereuse course-poursuite. Le gouvernement et ses ministres de l’Intérieur et de l’Asile, Jan Jambon et Theo Francken (N-VA), organisent la chasse aux migrants, la traque des personnes qui n’ont pas reçu une réponse positive à leur demande d’asile ou à leur demande de régularisation. Comme les parents de Mawda, qui fuyaient l’Irak.
Les migrants sont traqués, arrêtés, enfermés et expulsés. Tous ces gens, qui vivent parmi nous, qui survivent avec des salaires de misère (pensons notamment aux travailleurs sans-papiers qui ont construit la station de métro Arts-Loi), sont pourchassés sans cesse, via des contrôles renforcés dans les gares, dans les trams, dans les rues… Le parc Maximilien, près de la gare de Nord, est devenu le symbole de ce drame mais aussi celui de la solidarité et de la résistance des citoyens grâce au travail de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés.
Stratégie du pourrissement
On assiste en ce moment à une véritable stratégie du gouvernement MR-NVA pour pourrir la situation. D’une part, il organise le pourrissement d’une situation tout à fait « gérable » (absence d’accueil, de soins et d’informations pour les réfugiés). D’autre part, il envoie la police pour harceler et intimider quotidiennement les migrants (cette semaine on a même eu des exemples de migrants qui étaient arrêtés à la côte ou ailleurs et puis relâchés au parc Maximilien). On se rapproche d’une situation explosive qui permettra de justifier encore plus des mesures musclées. C’est un cercle infernal, organisé pour diviser la population et détourner l’attention du public des vrais débats et des mesures antisociales.
Ce gouvernement organise une régression sociale sans précédant. Pour ne pas qu’on regarde en-haut, qui sont les véritables profiteurs du système, ils pointent du doigts les réfugiés. Cette politique tue. De Semira Adamu à Mawda Shawri, on n’oublie pas.
« We are not dangerous, we are in danger »Cette affiche a été réalisée en mai 1987. A l’époque, d’autres retours forcés avaient causés la mort. Comme celle de M’Bisha, un réfugié congolais, le 14 janvier 1987, qui mourra asphyxié après qu’on lui ait injecté une dose trop lourde de valium, puis immobilisé en le maintenant plié en deux jusqu’à son dernier souffle. Cette affiche reste d’actualité. Depuis 30 ans, des jeunes et moins jeunes se mobilisent jour après jour pour le droit à l’asile, pour l’application de la convention de Genève, pour le droit à la régularisation, pour un accueil digne et humain. Avec le réseau Amitié sans Frontières, nous créons la solidarité mais aussi la résistance, en travaillant dans les écoles, dans les quartiers, avec des réfugiés et sans papiers qui témoignent.
Plusieurs événements ont lieu pour commémorer le 20e anniversaire de la mort de Semira et dénoncer la politique d’asile du gouvernement.Notamment ce samedi soir au parc Maximilien.