Ali Guissé a été porte-parole des travailleurs sans-papiers, éducateur, animateur radio, conducteur de bus à la STIB. Et il se présente à Bruxelles sur la liste du PTB. Une constante dans son parcours ? « Là où il n’y a pas de lutte, il n’y a pas de progrès. »

Né en 1972 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, de parents sénégalais, Ali s’est retrouvé à occuper une église bruxelloise. Un chemin qu’il faut prendre au début pour mieux comprendre.
« J’étais actif dans les associations dès le secondaire. C’est dans ces associations que je me suis intéressé à la politique, que je me suis éduqué sur le monde, sur le système capitaliste. Je me suis rendu compte petit à petit que le monde que je m’imaginais petit ne correspondait pas à la réalité. Bien sûr, ça ne plaisait pas mon père qui était commerçant ! (Rires) »
Dans les années 1990, le président Bédié lance le concept d’« ivoirité » : seule une personne dont les quatre grands-parents sont nés en Côte d’Ivoire peut prétendre à la nationalité locale. « Après une manifestation, je suis resté deux jours en garde à vue, uniquement à cause de mon nom de famille, à consonance sénégalaise. Mon père m’a engueulé : “Pourquoi participer à ces manifestations ? Te rends-tu compte que tu mets nos affaires en péril ?” Puis un coup d’État a éclaté. Je savais à ce moment que je ne pouvais plus rester. Mais quand j’ai voulu partir, on m’a confisqué mon passeport en me disant : “Vous, les étrangers, vous venez ici et vous faites comme chez vous. C’est fini.” J’ai donc renoncé à ma nationalité ivoirienne et j’ai demandé une carte sénégalaise. Je vivais donc dans mon propre pays avec un permis de séjour… Là, même mon père a compris qu’il fallait que je parte. »
Un exil qui résonne avec l’actualité. « C’était très difficile de quitter le pays. J’ai alors fait appel à un passeur. C’était le seul moyen. Il m’a donné un faux passeport français. Il m’a accompagné à l’aéroport pour corrompre les policiers aux douanes. Une fois que je suis arrivé à Zaventem, c’était pile ou face… »
À Bruxelles, la découverte de l’Afrique et du monde
En partant d’Abidjan, Ali ne sait même pas dans quel pays il va atterrir. « J’ai été envoyé dans un centre, à Florennes. Une fois arrivé là, je n’avais qu’une seule idée : m’informer sur ce pays. Je passais tout mon temps à la bibliothèque du village pour comprendre l’histoire et la politique de la Belgique… »
Ali s’installe ensuite dans le centre de la capitale. « J’adorais la diversité culturelle. On passait notre temps entre Africains, Européens de l’Est… C’est à Bruxelles que j’ai découvert l’Afrique et le monde… (Rires) Entre-temps, vu qu’on recevait 7 euros par semaine au centre pour réfugiés, je me suis désintéressé des biens matériels. Moi qui n’avais jamais manqué de rien, c’est quelque chose que j’ai dû apprendre. »

Après quelques mois, Ali reçoit un avis négatif de l’Office des étrangers. « J’ai introduit un recours avec un avocat pro-deo et mon dossier a été suspendu. Je ne suis pas resté sans rien faire. J’ai fait des formations, notamment dans le socio-culturel. Puis j’ai appris par un ami rencontré au centre qu’une association de défense des sans-papiers existait à Liège. Avec des amis, on a lancé l’UDEP (Union pour la défense des sans-papiers) à Bruxelles en 2005, un an après mon arrivée en Belgique. L’objectif était de sensibiliser et d’organiser les travailleurs sans-papiers. On leur disait de lutter, de ne pas vivre dans la peur. En s’organisant, on est plus fort. En restant seul, on est vulnérable. On a organisé une manifestation à Bruxelles. Puis on a occupé l’église St-Boniface à Ixelles, avec l’accord du prêtre. La médiatisation de cette occupation nous a aidé. »
Un combat difficile. « Oui mais “là où il n’y a pas de lutte, il n’y a pas de progrès”, disait Frederick Douglass, qui s’est libéré de l’esclavage pour devenir militant abolitionniste ».
Se battre pour le service public
Les membres de l’UDEP étaient des sans-papiers, mais des travailleurs avant tout, insiste Ali : « Dès le départ, on a cherché à se lier avec les travailleurs d’ici, avec leurs syndicats. On a voulu unir la classe des travailleurs, avec ou sans papiers. On a lutté avec des travailleurs de l’aéroport de Zaventem, par exemple. On voulait inclure les citoyens belges dans notre lutte. Pour cela, il fallait les informer, les sensibiliser. »
La tactique paie. « Moi, j’ai été régularisé sans l’avoir demandé. Quand le mouvement a pris de l’ampleur, le gouvernement a essayé de se débarrasser des meneurs en les régularisant. Sauf que ça a eu l’effet contraire ! Nous sommes restés pour nous battre pour une vraie loi de régularisation. La “loi UDEP” sert toujours de base au combat des travailleurs sans-papiers. Après avoir occupé les fonctions de porte-parole puis de coordinateur, j’ai quitté le mouvement. »
Après un emploi au CPAS pour s’occuper des jeunes, aider à l’école des devoirs, etc. Ali fait de la radio puis travaille chez Belgacom pendant deux ans. Après, il est engagé comme chauffeur de bus à la STIB. Une volonté de travailler dans les services publics ? « Non. Je suis entré à la STIB parce qu’il me fallait du travail. C’est en y travaillant que je me suis rendu compte de l’importance des transports publics pour la population. En Afrique, presque tout a été privatisé sur ordre du FMI. Il faut se battre pour que les transports en commun restent un service public. »
Un parti lanceur d’alerte
Comment s’est-il retrouvé sur la liste du PTB pour l’élection communale d’octobre prochain à Bruxelles ? « J’ai connu le PTB dès le début de la lutte pour la régularisation. On a reçu du soutien de beaucoup de militants. C’est le seul parti qui défende la population depuis la base, qui met l’humain avant le reste. Le PTB est le seul à s’investir réellement pour le droit au logement décent, pour que les jeunes aient du boulot. Et c’est un parti lanceur d’alerte : sur la fiscalité par exemple : c’est le premier parti qui a expliqué les intérêts notionnels et a sorti un Top 50 des multinationales qui ne paient pas ou peu d’impôts. »
C’est peu après avoir rejoint la STIB qu’il prend sa carte au PTB. « C’est bien de défendre ses valeurs dans son salon mais la lutte se mène dans la rue. Moi, je veux apporter ma pierre à l’édifice, je veux faire grandir ce parti. »