Plus d’une vingtaine de membres de l’organisation Schild & Vrienden assument des fonctions importantes au sein de la N-VA ou se présentent sur les listes du parti lors des prochaines élections. La direction du parti nationaliste a dit qu’elle n’était pas au courant. C’est faux.
Réaction unanime de Bart De Wever et du président des Jeunes N-VA Tomas Roggeman au lendemain du reportage diffusé dans le magazine télévisé Pano : « Nous n’étions pas au courant. » Et pourtant, la radicalisation au sein des Jeunes N-VA est un problème connu de longue date. On se souvient notamment de l’exclusion, l’année dernière, de son vice-président suite à la publication de caricatures racistes et sexistes ultra violentes. La comédie a assez duré.
Theo Francken après un dîner avec entre autres Dries Van Langenhove et Michiel Vantongerloo, fondateurs de Schild & Vrienden, et Bo De Geydt, fondateur de Génération Identitaire Vlaanderen, en juin 2013.
Le reportage diffusé mercredi soir dans le magazine télévisé Pano, sur l’organisation d’extrême droite Schild & Vrienden a fortement secoué la Flandre. Ceux qui pensaient que la pensée fasciste décomplexée, en ce compris l’apologie d’Adolf Hitler, l’idéologie raciste et l’antisémitisme, avait disparu pour de bon en ont tiré une leçon importante : nous devons tous rester attentifs et lutter contre toute manifestation d’idées réactionnaires. On voit dans le reportage des membres de Schild & Vrienden poser avec des armes prohibées et participer à des exercices de tir à l’étranger. Le fondateur du mouvement, Dries Van Langenhove, annonce quant à lui le « jour de la violence ».
Un mois avant les élections communales, ces révélations tombent très mal pour la N-VA. Des dizaines de membres de Schild & Vrienden sont actifs au sein de la N-VA, dont deux douzaines au moins au sein de fonctions importantes ou en tant que candidats sur les listes du parti. Et les liens entre l’organisation estudiantine fasciste et la N-VA ne s’arrêtent pas là. De son propre aveu, l’organisation Schild & Vrienden a été constituée afin d’« assurer la sécurité » lors des interventions du secrétaire d’Etat Theo Francken (N-VA), que ses fondateurs connaissent d’ailleurs personnellement. A la N-VA, on réagit mollement. Certains membres de S&V figurant sur les listes N-VA et trop exposés dans les médias ont bien été priés de faire un pas de côté, mais une large majorité n’est inquiétée d’aucune manière, alors que leurs noms et leurs actes sont bien connus.1 La promesse de Bart De Wever de « nettoyer » la N-VA de ces éléments « pourris » reste donc pour l’heure du domaine de l’intention.2
Des Jeunes N-VA en pleine radicalisation
Les liens entre des membres de la N-VA et des Jeunes N-VA et Schild & Vrienden existent depuis les débuts, certains ayant participé à la fondation du mouvement. Jan Vanhove, par exemple, ancien camarade de classe de Dries Van Langenhove à Termonde où il est candidat sur la liste N-VA. En 2017, lorsque des étudiants de gauche organisent une manifestation en faveur des droits humains à l’occasion d’une intervention publique de Theo Francken à l’Université de Gand, Jan Vanhove se précipite pour attaquer les membres de Comac, mouvement étudiant du PTB. Il tente ensuite de saboter la marche elle-même en compagnie de Dries Van Langenhove et de quelques membres de l’association politique estudiantine catholique Katholiek Vlaams Hoogstudentenverbond (KVHV) et du groupe d’étudiants nationalistes flamands Nationalistische Studentenverenging (NSV). Peu après, Jan Vanhove et Dries Van Langenhove organisent, à partir d’un obscur groupe Facebook baptisé « Schild & Vrienden », une campagne d’intimidation contre des membres et des pages Facebook de Comac. Depuis, Vanhove participe à toutes les actions majeures de Schild & Vrienden, brièvement interrompues suite au suicide de Dylan Vandersnickt. Jan Vanhove a reconnu dans les médias être proche de Van Langenhove, mais qu’il ne voyait pas pourquoi il devrait démissionner des Jeunes N-VA.3 Il n’exclut d’ailleurs pas de rester candidat sur la liste N-VA à Termonde.4
Après les premiers raids en ligne, Comac a constitué un dossier reprenant les noms d’une vingtaine de membres de la N-VA et des Jeunes N-VA, avec des captures d’écran de commentaires intimidants proférés contre des membres de Comac, ainsi que des références ouvertement fascistes à la persécution d’activistes de gauche et de syndicalistes sous Pinochet, au Chili, ou encore des citations du dictateur fasciste italien Mussolini. Ce sont ces mêmes noms qui font aujourd’hui parler d’eux. Les Jeunes N-VA ont fait mine de prendre des mesures. Peu après, le vice-président national des Jeunes N-VA, Dylan Vandersnickt, allait encore plus loin et publiait une caricature personnalisée illustrant le viol et le meurtre de deux activistes de gauche. Il faudra alors près de deux jours de protestations pour que Vandersnickt soit contraint à la démission. Il affirmera par la suite avoir été protégé pendant tout ce temps par le président Tomas Roggeman.5 Roggeman et Vandersnickt qui faisaient d’ailleurs partie du même groupe d’amis que Dries Van Langenhove et Jan Vanhove au collège de Termonde.
L’affaire Vandersnickt a attiré clairement l’attention sur le problème de la radicalisation de droite au sein des Jeunes N-VA. Pas seulement parce qu’il s’agissait du vice-président national, ni parce qu’il avait manifestement été protégé, mais aussi parce que différents membres des Jeunes N-VA s’étaient revendiqués comme membres de Schild & Vrienden sur les réseaux sociaux et y avaient défendu les caricatures et les propos de Vandersnickt. Si quelques-uns ont à l’époque démissionné en guise de protestation contre l’exclusion définitive de leur vice-président des Jeunes N-VA, une large majorité n’a pas bougé ni pris la moindre mesure. Un an plus tard, le président Tomas Roggeman justifiait la présence de membres des Jeunes N-VA à une action du groupe d’extrême-droite NSV comme suit : « Ce que font ou disent les membres de l’organisation en dehors, cela ne me regarde pas. »6 Au lieu d’intervenir, la direction des Jeunes N-VA a donc implicitement accordé sa bénédiction aux activités de membres de S&V au sein de l’organisation. Roggeman lui-même a par ailleurs été mis en cause dans une affaire de « mème » (image reprise et déclinée en masse sur Internet) raciste au sujet des réfugiés traversant la Méditerranée en bateau.7
La caricature avec laquelle le vice-président national des Jeunes N-VA Dylan Vandersnickt a tenté d’intimider ses opposants politiques. La vidéo de la victime Naomi Stocker a été visionnée 225 000 fois sur Facebook. Pourtant, il a fallu des jours avant que la N-VA ne prenne des mesures. Son ami Dries Van Langenhove lance alors un mème « je suis Dylan ».
L’alt-right flamande
Les idées extrémistes, l’organisation et la façon de travailler de Schild & Vrienden rappellent à de nombreux égards celles du mouvement alt-right aux Etats-Unis. Dans son livre, intitulé « Nieuw rechts » (la nouvelle droite), le professeur Ico Maly explique les liens entre les réseaux internationaux des jeunes de droite radicale. Ainsi, Dries Van Langenhove a assisté en été 2016 à un congrès international de Génération Identitaire, l’aile francophone de l’alt-right en Europe, où il a appris les ficelles du métier. Les « mèmes » publiés par Schild & Vrienden sont généralement pompés sur ceux de l’alt-right américaine. Sous couvert d’humour, ils visent à diffuser des idées racistes, misogynes, homophobes, anti-syndicalistes et anti-socialistes. A ce sujet, Van Langenhove a précisé dans le reportage de Pano : « Nous voulons changer les mentalités. »
Le terme alt-right, abréviation de « droite alternative » a été imaginé par Richard Spencer, néo-nazi américain et « suprémaciste blanc », à savoir quelqu’un qui considère que les personnes de peau blanche sont supérieures à celles de couleur et de culture différentes et ont le droit de disposer de leur propre territoire. Il a utilisé les réseaux sociaux pour appeler les extrémistes de droite de l’alt-right isolés à mener ensemble des actions en ligne, s’inspirant pour cela des traditions américaines d’extrême-droite telles que le Ku Klux Klan, voire le fascisme ou le néo-nazisme. Le site de droite Breitbart News, emmené par Steve Bannon, a joué un rôle clé dans cette évolution. Bannon s’est associé au milliardaire de droite Robert Spencer dont l’entreprise d’analyse de données Cambridge Analytica a fait de l’alt-right une machine de propagande en faveur de Donald Trump. Ico Maly estime que cette initiative a fortement contribué à la victoire de Trump à l’élection présidentielle de 2016.
En Europe, la situation est différente de celle des Etats-Unis, mais plusieurs politiciens de droite cherchent à adapter la formule efficace de l’alt-right aux spécificités du Vieux Continent. Ainsi, en juin 2013, Theo Francken a participé à un dîner avec la présidence du KVHV de Gand en présence notamment de Dries Van Langenhove et du fondateur de Génération Identitaire Vlaanderen Bo De Geyndt. Trois dirigeants du KVHV de Gand, dont Van Langenhove, ont par la suite décidé de créer le site d’informations de droite Sceptr, dirigé par l’ancien président Jonas Naeyaert, avec le soutien financier de l’hebdomadaire d’extrême-droite ’t Pallieterke. Sceptr a vu le jour en décembre 2016 et se présente comme le « futur Breitbart ».8 Dries Van Langenhove y est rédacteur spécialisé sur le thème de la migration et multiplie les articles élogieux au sujet du secrétaire d’Etat Theo Francken, qui publie régulièrement ces articles via ses propres réseaux sociaux.
Nick Peeters, candidat sur la liste N-VA à Lubbeek où Francken est bourgmestre. Peeters, qui écrit également pour Scepr, affirme dans Het Nieuwsblad qu’il a peu de liens avec Schild & Vrienden. Cependant, cette photo prouve qu’il a donné une formation à l’université d’été pour le noyau dur de Schild & Vrienden.
Diviser pour mieux régner
Plus encore que ces échanges de bons procédés en ligne entre Sceptr et Theo Francken, il ne faut pas minimiser le rôle que jouent des hommes politiques tels que Francken en Flandre ou Trump aux USA dans l’ouverture aux idées d’extrême-droite. Il ne fait aucun doute que les membres de Schild & Vrienden vouent pratiquement un culte à Theo Francken, tout comme les membres de l’alt-right vis-à-vis de Donald Trump. En distillant les propos racistes ou misogynes puis en faisant soi-disant marche arrière, de « Grab ‘em by the pussy » à « #nettoyer », ils repoussent à chaque fois un peu plus les limites du discours politique en direction de la pensée réactionnaire. Dans un climat politique où le racisme rencontre un certain succès, où un secrétaire d’Etat défend les auteurs de violences racistes au Pukkelpop ou s’exprime sur ce que devraient faire les « vrais hommes », mais aussi où les syndicats sont attaqués de toutes parts, les groupuscules extrémistes se sentent pousser des ailes. La politique du « diviser pour mieux régner » chère à la N-VA est indissociable de l’émergence de Schild & Vrienden.
La N-VA porte donc une lourde part de responsabilité dans tout cela. Elle connaissait le problème depuis longtemps, mais s’est abstenue d’intervenir dans l’espoir de voir ces éléments contribuer à sa victoire électorale. Elle a ouvert la porte au racisme et à un anti-syndicalisme des plus violents. Une communication de crise ne pourra rien contre les faits.