Partout dans le monde, des gens ont exprimé leur indignation face aux images révoltantes de ces enfants enfermés dans des cages. Plus de 2300 enfants de réfugiés – la plupart originaires du Guatemala et du Salvador – étaient en effet séparés de leurs parents et enfermés dans des camps à la frontière avec le Mexique. Aux États-Unis mêmes, les importantes manifestations ont contraint Trump a faire un pas en arrière. Preuve qu’il n’est pas insensible à la pression. Le 30 juin, une grande marche de protestation est encore prévue à Washington et, le 7 juillet, à Bruxelles.
Face aux critiques, le président Trump avait dans un premier temps rétorqué lors d’une conférence de presse : « Les États-Unis ne vont pas devenir un camp de migrants. Ils peuvent être des tueurs ou des voleurs, voire pire encore. Nous voulons un pays sûr, et ça commence par les frontières. C’est ainsi une fois pour toutes ! »
Le 20 juin, il devait cependant céder à la pression et signer un décret pour que les familles ne soient plus séparées. Les familles de réfugiés continuent cependant à être enfermées, mais ensemble.
Traiter les migrants comme des criminels
La séparation des familles et l’enfermement des enfants de migrants à la frontière mexicaine était en cours depuis plusieurs mois déjà, mais ce n’est que la semaine dernière, après que des journalistes ont divulgué des images et des prises de son dans les camps que ces pratiques on soulevé un tollé. Dans des camps improvisés dans de grandes salles de bâtiments scolaires ou dans des centres commerciaux désaffectés, répartis dans des dizaines de cages aux grillages d’acier, les enfants se retrouvent enfermés en groupes allant jusqu’à la vingtaine après avoir été arrachés leurs parents, sans qu’ils comprennent trop ce qui se passe et ce qu’il va advenir d’eux. L’éclairage dans les salles reste allumé jour et nuit et les enfants dorment sur de minces matelas, sous des feuilles de plastique ou d’aluminium. Une adolescente a témoigné auprès d’un avocat de la façon dont elle a voulu s’occuper d’un bébé tout à fait inconnu dont la famille était enfermée ailleurs. Elle a dû montrer à d’autres enfants dans la cage comment changer les langes d’un bébé, puisque personne ne les aide ni ne les accompagne.
Cette mesure fait partie du durcissement de la politique de migration. Jusqu’à présent, les familles de réfugiés étaient déjà interceptées à la frontière et poursuivies comme des criminels pour « migration illégale ». Dans l’attente de leur procès, elles étaient toutefois libérées, une disposition que Trump qualifiait avec mépris de catch and release (attraper et relâcher) et à laquelle il veut donc mettre un terme. « Ce gouvernement n’a pas créé une législation pour séparer des familles à la frontière, a déclaré la ministre de la Sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen. Ce qui a changé, c’est que nous ne libérons plus des groupes entiers de personnes qui enfreignent la loi. » Dans sa communication, Nielsen tente de rejeter la faute sur les victimes en insistant sur la responsabilité des parents. « Des parents qui entrent illégalement dans le pays sont par définition des criminels. En s’infiltrant illégalement dans notre pays, souvent dans des circonstances périlleuses, les migrants illégaux mettent leurs enfants en danger. » Le président du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (UNHRC) a condamné la mesure avec véhémence. Suite à cela, le gouvernement américain a tout simplement décidé de… se retirer de l’UNHRC.
La faute de l’opposition ?
La tempête d’indignation qui a éclaté ces derniers jours a toutefois fait quelque peu ébranlé l’aplomb au gouvernement. Selon un sondage de CBS News, 2 Américains sur 3 estiment qu’il est inadmissible de séparer les enfants de leurs parents. Trois anciennes First Ladies et l’actuelle, Melania Trump, se sont même jointes aux protestations. D’après le journaliste de la VRT Björn Soenens, les images constituent une « catastrophe en matière de relations publiques » pour le gouvernement américain et c’est pourquoi la communication part dans tous les sens. Le ministre de la Justice Jeff Sessions a, lui, carrément cité un passage de la Bible invitant à obéir aux lois du gouvernement, puisque « Dieu soutient le gouvernement ». De même, la porte-parole de la Maison-Blanche, Sarah Sanders, a expliqué au cours d’une conférence de presse qu’« il est très biblique d’appliquer la loi. La chose est en fait répétée plusieurs fois dans la Bible ». Elle n’a toutefois pas répondu à un journaliste indigné qui lui demandait ce qu’elle ressentait, en tant que mère, à la vue de ces images.
Il n’a cependant pas fallu attendre longtemps avant que Trump et ses ministres passent à la contre-attaque. Ces situations déchirantes ne seraient pas imputables au gouvernement, mais bien aux démocrates qui, dans le passé, auraient créé des lois qui ne sont appliquées qu’aujourd’hui. Or c’est tout à fait inexact, vu que la loi prescrit uniquement que les enfants doivent être séparés dans les rares cas de trafic d’enfants. Le gouvernement renvoie aussi à une disposition du tribunal de 1997 contre l’enfermement d’enfants par l’administration Reagan dans les années 1980. Ce qu’on a appelé le Flores settlement oblige depuis lors les autorités à ne détenir les enfants que pendant 20 jours tout au plus, et dans des conditions les moins restrictives qui soient. Il n’en découle toutefois pas du tout que les enfants doivent être séparés de leurs parents afin que ceux-ci puissent être détenus dans des conditions plus pénibles. Une condamnation de l’administration Obama en 2014 pour infraction au Flores settlement a précisément abouti à la libération des migrants arrêtés avec des enfants.
Trump a tweeté en lettres majuscules que les démocrates feraient mieux de contribuer à modifier les lois, mais il ne sait évidemment que trop bien que cette argumentation ne tient pas la route. La contre-attaque est surtout un coup politique afin d’accroître la pression pour que soit approuvé le fameux mur dont il rêve le long de toute la frontière avec le Mexique. « Ces enfants sont utilisés comme un sorte de mortier, de ciment dans la construction de ce mur, observe Björn Soenens. Trump veut des milliards pour la construction de ce mur et, dit-il, « une fois que ce mur sera installé, je n’aurai plus besoin de telles pratiques, je ne devrai plus séparer les familles car elles ne franchiront même plus la frontière ». Il applique évidemment de telles pratiques également pour dissuader les futurs migrants, vu la souffrance qu’il provoque de la sorte. »
Nouveaux rapports de force
La sinistre tentative de Trump de faire passer de cette manière la loi qu’il veut en matière d’immigration – une de ses principales promesses électorales – tombe à un moment où le président américain tente de contrer sa perte de popularité de ces derniers temps en se servant habilement de la scène internationale. Dès son entrée à la Maison-Blanche, Trump a essayé de placer dans toutes les administrations de nouvelles personnes favorables à son agenda conservateur radical. La lutte avec d’autres groupes d’intérêts au cours de laquelle Trump a subi quelques défaites cinglantes, comme le limogeage du général Michael Flynn et de l’idéologue Steve Bannon, a réduit la liberté de manœuvre du président milliardaire. Mais un accord avec le complexe militaro-industriel pour se centrer sur de futures agressions au Moyen-Orient, le prestige du récent accord inattendu avec la Corée du Nord et l’accession au pouvoir de partisans politiques dans des pays européens comme l’Autriche et l’Italie semblent donner un second souffle à Trump.
Les citoyens indignés ne restent toutefois pas sans rien faire. Dans plusieurs endroits des États-Unis, des protestations spontanées ont déjà éclaté. Ces forces s’unissent sous le slogan #FamiliesBelongTogether (les familles doivent rester ensemble) afin d’organiser une grande marche dans la capitale, Washington DC. On attend des mobilisations similaires dans des dizaines d’autres villes. Après le succès de la Women’s March contre Trump, en janvier 2017, et la March For Our Lives contre Trump et le lobby des armes, en mars 2018, cette mobilisation peut à nouveau se muer en manifestation historique et en signe incontestable de la résistance croissante.
Jouer avec les vies des plus faibles pour en tirer un profit politique, rejeter ouvertement les droits de l’homme, asséner son pouvoir de manière autoritaire contre ceux qui critiquent la politique gouvernementale, rejeter la faute sur les victimes, reculer les limites de ce que les dirigeants politiques peuvent se permettre sur le plan du discours haineux et des contre-vérités…, tout cela est symptomatique d’un glissement antidémocratique, qui ne se limite d’ailleurs pas qu’aux États-Unis. En Belgique et dans le reste de l’Europe aussi, nous sommes confrontés à la montée de la Nouvelle Droite qui entend autant que faire se peut jeter les acquis démocratiques à la poubelle. Exactement une semaine après la grande manifestation de Washington, le 7 juillet, une marche de protestation aura lieu aussi à Bruxelles contre Donald Trump, à l’occasion de sa venue en Belgique pour un sommet de l’Otan. L’initiative de la marche à Bruxelles est le fait des mêmes jeunes activistes qui, l’an dernier, avaient mobilisé 12 000 personnes lors de la première manifestation « Trump Not Welcome ». Les organisateurs orientent surtout leurs flèches sur Trump et l’Otan, mais aussi sur les dirigeants européens qui entendent trouver une source d’inspiration chez le président américain.