En interdisant au navire de sauvetage Aquarius d’accoster en Italie, Matteo Salvini, le nouveau ministre italien de l’Intérieur et leader d’extrême droite, veut imposer la fermeture des frontières européennes aux réfugiés, dans la perspective du prochain sommet européen qui aura lieu fin juin. Une option soutenue en Belgique par Theo Francken, qui appelle même à « contourner » les droits de l’homme afin de pouvoir renvoyer les personnes qui fuient la guerre ou la misère.
Le 11 juin, Matteo Salvini, le nouveau ministre italien de l’Intérieur d’extrême droite empêchait l’Aquarius de l’ONG SOS Méditerranée d’accoster en Italie. A son bord : 629 personnes – alors que la capacité maximale est de 500 personnes à bord – dont 129 mineurs, 11 bébés et 7 femmes enceintes. Des personnes épuisées et dans l’angoisse d’être tout simplement renvoyées en Libye où de nombreux rapports indiquent ce qui les attend : l’enfermement, la torture, des viols, l’esclavage ou même la mort. « Plusieurs personnes avaient menacé de sauter à l’eau, raconte Antoine Laurent, coordinateur des opérations maritimes au sein de SOS Méditerranée. Elles avaient peur d’être renvoyées en Libye. »
L’équipe médicale a également du mal à faire face. Seuls quatre médecins sont sur le navire pour s’occuper de centaines de gens. Ils doivent surveiller en permanence l’état d’une personne sauvée de la noyade ainsi que celles brûlées dans une des opérations de sauvetage effectuées le 9 juin à la suite d’une importante fuite de gasoil dans la mer dans laquelle elles venaient de tomber, sans compter les 7 femmes enceintes qui doivent également être suivies médicalement. C’est avec soulagement qu’elles ont appris que le nouveau gouvernement espagnol de Pedro Sanchez acceptait de les accueillir. Mais cette destination est à…1300 km de la position du navire. Dans le port de Valence, la Croix-Rouge internationale sera responsable de la première prise de contact avec les migrants et travaillera en relation avec les centres hospitaliers locaux. De nombreuses villes et régions espagnoles ont déjà proposé leurs infrastructures pour pouvoir les accueillir.
C’est là un coup de force du nouveau gouvernement italien d’extrême droite en perspective du tout prochain sommet européen sur la politique migratoire de l’Union européenne. L’Italie rejoint à présent le « groupe de Visegrad » (Pologne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque) dans leur volonté de fermer complètement les portes de l’Europe aux réfugiés. Une option partagée également par le chancelier autrichien Sebastian Kurz de l’ÖVP (chrétiens-démocrates conservateurs) en coalition avec le parti d’extrême droite FPÖ. C’est aussi le camp choisi par notre secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken (N-VA) qui propose de pratiquer une politique de refoulement, quitte à même « contourner » l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisant de renvoyer des personnes là où elles risquent la torture ou des traitements inhumains et dégradants. « Nous parlons depuis maintenant trois ans de ce que nous devons faire dans la maison européenne. Mais il est bien plus important de fermer les portes de l’Europe », a-t-il déclaré.
La politique du « Push-back »
« Return to the sender ! » (retour à l’envoyeur !), a tweeté avec joie le président des jeunes N-VA Tomas Roggeman à l’annonce par le gouvernement italien de repousser la navire de sauvetage italien. Il y a plus d’un an, Theo Francken avait également créé la polémique en tweetant « Ils doivent arrêter ces missions de sauvetage. Ils font du trafic d’êtres humains » à propos des missions de sauvetage de Médecins Sans Frontières.
Le nouveau gouvernement d’italien d’extrême droite est passé à l’acte en empêchant l’Aquarius d’accoster en Italie. Il s’agit d’une politique de push-back ou refoulement, qui consiste à repousser les personnes fuyant leur pays pour les empêcher de mettre pied à terre en Europe. Une politique en totale violation de la Convention de Genève relative au statut de réfugié qui impose aux États signataires de permettre à chaque personne de déposer une demande d’asile en Europe. Les personnes refoulées le sont souvent également dans des zones de conflit ou de chaos telles que la Libye, où elles risquent la torture, le viol, l’esclavage ou la mort. Interrogé sur la chaîne Radio 1, Theo Francken a affirmé que c’était prévisible. « Salvini avait clairement annoncé ce qu’il comptait faire. Si il est mis fin aux opérations de sauvetage, des milliers de gens se noieront, mais cela ne constituera pas une violation de l’article 3 (NdlR : de la Convention européenne des droits de l’homme), a-t-il très cyniquement ajouté. Dans ce cas, il faudra créer un camp de réfugiés en Afrique du nord comme je l’avais prédit. » Pas un mot sur la situation de détresse dans laquelle se trouve ces 629 personnes.
La Convention européenne des droits de l’homme ainsi que la Convention de Genève sont nées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de la victoire sur le fascisme, et elles ont vu le jour en même temps que la sécurité sociale. En même temps que l’Allemagne nazie perdait la guerre, étaient en effet également discréditées les idées justifiant les inégalités entre les hommes, qu’elles soient sociales, raciales ou basées sur les croyances religieuses. Aujourd’hui, les droits de l’homme et la sécurité sociale sont de nouveau sous pression partout en Europe. Au Parlement, le député du PTB Marco Van Hees a réagi : « Cette déclaration (NdlR : selon laquelle il faut contourner les droits de l’homme) de Theo Francken signifie qu’on peut faire du push-back et renvoyer des réfugiés vers des dictatures. Cela veut dire que l’humanité s’arrête aux frontières de l’Europe. Au-delà de ces frontières, ce ne sont plus des humains, c’est autre chose. Par contre, nos bombes, elles, n’ont pas de frontières car on se rappelle que le même Francken a été un chaud partisan de l’intervention en Libye. »
L’Europe de la solidarité et de la coopération face à l’Europe des riches et des ténèbres
Le choix qui se pose est en réalité celui de l’Europe que nous voulons construire. Il y a d’une part l’Europe libérale et autoritaire de la chancelière allemande Angela Merkel et du président des riches Emmanuel Macron en France. Il y a d’autre part l’Europe nationaliste et d’extrême droite de Bart De Wever, Viktor Orban en Hongrie, le FPÖ en Autriche et Matteo Salvini en Italie. Ils se rejoignent tous sur le fait que nos pensions doivent diminuer, sur la casse des services publics, sur la diminution de nos salaires sans oublier sur le pillage des pays du sud à la base de la crise migratoire actuelle. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils arrivent quand même à gouverner ensemble, comme Michel et De Wever en Belgique où Sebastian Kurz et le FPÖ en Autriche. Mais les tenants de l’Europe nationaliste et d’extrême droite veulent également remettre ouvertement en cause les droits de l’homme, ils diffusent ouvertement le racisme, s’attaquent agressivement aux droits démocratiques tels que le droit de grève et veulent réduire la société civile au silence.
« Il y a une stratégie politique qui surfe sur le racisme et la N-VA en est spécialiste. Effectivement, remettre en cause les traités européens d’austérité est impossible, mais remettre en cause une Convention européenne des droits de l’homme devient possible. Pour cacher l’appauvrissement du peuple au profit des plus riches, la N-VA est très forte, ainsi que pour surfer sur le racisme dans ce cadre. Monsieur le Premier ministre, je me demande si vous-même vous n’êtes pas également tenté par cette stratégie de la N-VA », a déclaré Marco Van Hees en interpellant Charles Michel. La seule réaction du Premier ministre à propos des 629 personnes coincées dans l’Aquarius aura d’ailleurs été une boutade affirmant que « La Belgique n’a pas de port en Méditerranée »…
Face à ces deux visions de l’Europe, il y a l’Europe de la solidarité et de la coopération. Une Europe qui s’oppose aux guerres et aux accords commerciaux inégaux qui sont à la base des migrations forcées, qui développe un plan d’investissements écologique et social ambitieux en Europe, et où les droits de l’homme sont respectés. Une part grandissante de la population en Europe, en particulier chez les jeunes, défend cette vision-là : on le voit au succès de la campagne présidentielle en France avec Mélenchon ou encore Corbyn au Royaume-Uni ainsi que le PTB en Belgique. A travers les ténèbres, pointe une éclaircie.