Mounir vit et travaille depuis 12 ans en Belgique. Il y a aussi développé un engagement fort en faveur l’égalité des droits pour tous les travailleurs. Mais il est jugé « illégal » par l’État, et se trouve aujourd’hui dans un centre fermé. « Nous voulons pouvoir contribuer à la sécurité sociale, mais le gouvernement nous traite comme des criminels. »
- Dimanche 11/02, action devant le centre fermé 127Bis pour demander la libération de Mounir et Jiyed. Photo : François Dvorak
« Ça va bien, merci. C’est grâce aux camarades qui me montrent tout leur soutien que je garde le moral dans ma cellule. Avant-hier je vous ai vus manifester devant les grilles du centre fermé, je vous ai entendus demander notre libération, ça fait très chaud au cœur. Merci… ». C’est par ces quelques mots d’apaisement et d’espoir que Mounir a entamé sa conversation téléphonique avec Loïc Fraiture, responsable d’Amitié Sans Frontières.
Mounir est détenu depuis 5 jours. Vendredi soir, la police avait débarqué en nombre dans les locaux de l’asbl Globe Aroma, un centre culturel qui travaille avec des artistes migrants. Suite à cette opération policière, il a été placé au centre fermé 127bis de Steenokkerzeel avec Jiyed Cheikhe, un artiste mauritanien qui devait le soir-même présenter ses œuvres dans une exposition soutenue par la ville de Bruxelles.
![mounir[1]](https://amitiesnsfrontieres.files.wordpress.com/2018/02/mounir1.jpg?w=272&h=494)
Mounir, au milieu de la photo, lors d’une manifestation.
Quatre mois de travail sans aucun salaire
Cela fait 12 ans que Mounir a quitté le Maroc pour venir travailler en Belgique. Il a 45 ans. Sa sœur vit également ici, elle a pu fonder une famille. Mounir quant à lui n’aurait pas pu faire un tel choix car sa situation est trop précaire : il est toujours en procédure de recours pour obtenir un permis de séjour valable. Pourtant Mounir travaille depuis son arrivée. Mais en Belgique, l’Office des étrangers peut décider de détenir toute personne étrangère dont le titre de séjour serait « non valable » ou dont le motif serait jugé non crédible. Une simple décision administrative aux lourdes conséquences et dont l’arbitraire est dénoncé depuis des années par les défenseurs des droits de l’Homme.
Mounir ne se plaint jamais, il est d’un tempérament calme et cherche toujours le dialogue. Mais il s’est toujours engagé contre l’injustice. C’est pour ça qu’en 2015 il décide de se mobiliser avec ses camarades de la CSC pour dénoncer son employeur : le Foyer Anderlechtois. Un opérateur public qui cache sa responsabilité derrière des entreprises privées de sous-traitance pour des tâches comme le nettoyage des logements sociaux. Parce qu’il est sans-papiers, ses patrons ont pu se permettre de ne pas respecter ses droits : salaire de misère, horaires impossibles, mauvaises conditions de travail, non-respect des consignes de sécurité. C’est après quatre mois de travail sans aucun salaire, quatre mois de tentatives de dialogue avec son employeur, que Mounir a décidé de faire intervenir ses camarades du syndicat pour dénoncer une injustice qui dépasse largement son cas.
Des droits égaux, seule arme contre le dumping
« Ce système d’exploitation est monnaie courante pour les quelque 100 000 travailleurs et travailleuses sans-papiers qui vivent en Belgique » explique Eva Maria Jimenez Lamas, permanente à la CSC Bruxelles-Halle-Vilvorde. « Ça arrange beaucoup les patrons abuseurs, même des opérateurs publics, de profiter de la législation pour avoir recours à la sous-traitance de statuts précaires, de travailleurs détachés, d’intérimaires, voire de sans-papiers. Vu l’absence d’emplois en suffisance, la concurrence entre les gens est tellement forte que les patrons se permettent de baisser les salaires et d’exposer l’ensemble des travailleurs à des conditions indignes. Ils profitent de la précarité liée à l’absence de titre de séjour valable. Nous nous battons tous les jours pour l’égalité entre tous les travailleurs, pour des salaires et des conditions de travail décents pour toutes et tous. Car c’est dans l’intérêt de tout le monde, travailleurs et travailleuses d’ici ou d’ailleurs, intérimaires et salariés, d’avoir des normes élevées qui garantissent des droits égaux. C’est la seule arme contre le dumping. »
Depuis lors, Mounir vit de boulots journaliers dans les secteurs de l’entretien et du bâtiment. Mais surtout, il est un des leaders de sa section syndicale. Il s’engage activement pour les combats de tous les travailleurs, en prenant la parole lors de meetings, en agissant lors des campagnes de sensibilisation sur le terrain, en allant soutenir ses camarades aux piquets de grève et en participant à l’organisation de toutes les grandes manifestations syndicales. Par exemple, il y a un an, ses camarades et lui se sont battus pour révéler l’affaire de la rénovation de la station de métro Arts-Loi : Mohamed, 35 ans, faisait partie de la quinzaine de sans-papiers exploités sur ce chantier de la STIB. On leur demandait d’effectuer les tâches les plus difficiles, sans l’équipement adéquat. Entretemps, Mohamed a reçu un ordre de quitter le territoire. Mais sa photo trône quand même dans la station, en « hommage » aux ouvriers qui construisent nos infrastructures… La CSC dénonce le rôle des pouvoirs publics et demande « aux ministres concernés d’accentuer la lutte contre le dumping social, notamment en pénalisant les exploiteurs et en liant le permis de séjour avec le travail ».
« Fier d’être travailleur »
Au téléphone, Mounir conclut : « Je suis fier d’être un travailleur. Je veux continuer à contribuer à la construction de la Belgique. On se bat aux côtés des autres camarades, pour pouvoir aussi contribuer à la sécurité sociale comme tout le monde. Mais les patrons nous exploitent et le gouvernement nous traite comme des criminels. Enfermer une poignée d’entre nous et continuer à exploiter des milliers d’autres ne résout la situation de personne. Mais je garde espoir, grâce à la solidarité et la mobilisation ».
La CSC, tout comme la FGTB et une grande partie de la société civile, demandent également que les sans-papiers soient régularisés selon des critères objectifs, clairs et permanents, liés à la famille, à la santé, à l’ancrage ou au travail. Il n’est pas acceptable que le système s’attaque aux plus vulnérables d’entre nous, pour satisfaire la soif de profit de certains.
- Rendez-vous pour la marche « Human Wave for solidarity and humanity » le dimanche 25 février à 14h à la Gare du Nord :
- Une action a aussi été lancée suite aux arrestations à l’asbl Globe Aroma. Elle aura lieu le samedi 17 février. Infos sur Facebook.
- Les syndicats se mobilisent dès lundi devant le Palais de Justice, jour de l’audience de Mounir, pour réclamer sa libération ainsi que celle de Jiyed.
Que s’est-il passé ce vendredi 9 février ?
Globe Aroma est un centre culturel bruxellois néerlandophone qui depuis des années permet aux artistes réfugiés de pratiquer leur art dans la capitale et d’échanger avec un large public.
Koen Verbert de l’association : « Vendredi soir, alors que nous accueillions des artistes et des visiteurs venant de partout, 25 policiers, dont certains de la zone de Bruxelles, sont arrivés. Les responsables ont demandé à contrôler toutes sortes de documents légaux de notre ASBL, nous les avons reçus dans notre bureau. Mais pendant ce temps-là, les autres policiers ont commencé à contrôler les identités des personnes présentes. Il y avait notamment des réfugiés, des demandeurs d’asile et des sans-papiers. Lorsque nous sommes redescendus, nous avons vu que les policiers étaient très agressifs. Certains visiteurs ont même été plaqués au sol très violemment. Il s’agissait clairement d’une opération d’intimidation et de capture de migrants. C’est très choquant qu’un lieu culturel comme le nôtre qui prône la solidarité et permet l’échange entre les cultures soit ainsi la proie d’une opération d’arrestation et d’intimidation. Nous craignons pour le futur : est-ce que les réfugiés se sentiront encore en sécurité chez nous ? Est-ce qu’ils oseront encore garder un contact avec les artistes et le public belges ? Si même des associations culturelles sont visées, quels sanctuaires reste-t-il pour la liberté d’expression en Belgique ? »