Des Soudanais renvoyés par le Belgique ont été torturés dès leur retour au Soudan. Non seulement des ONG, mais également le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, responsable de traiter les demandes d’asile en Belgique, avaient averti Theo Francken. Depuis le début dans cette affaire, le Parlement est mis devant le fait accompli, quand le secrétaire d’État ne ment pas tout simplement. N’y a-t-il pas de limites au cynisme du gouvernement, qui continue de soutenir Theo Francken ?
Auteur : Max Vancauwenberge
Ce 26 décembre, Le Soir confirme ce qui se clarifiait depuis plusieurs jours, à savoir que le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), responsable d’évaluer les demandes d’asile en Belgique, avait envoyé une note confidentielle au secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Theo Francken l’informant des risques que courraient les soudanais en cas de renvoi et reconnaissant qu’ils méritent une protection automatique. Une note que le secrétaire d’État a ignoré. Et ce qui devait arriver arriva : les soudanais renvoyés ont été arrêtés dès leur atterrissage et envoyés en chambre de torture. Plusieurs ONG, associations des droits de l’Homme et spécialistes du Soudan avaient pourtant mis le secrétaire d’État en garde contre la « mission d’identification soudanaise », car elle était composée de membres des services secrets qui venaient rechercher leurs opposants politiques.
« Ils m’ont arrêté dès l’atterrissage au Soudan, interrogé pendant des heures et frappé mes pieds avec des bâtons. Je n’ai été relâché que deux jours plus tard. J’ai eu tellement peur que je suis encore resté trois jours malade dans mon lit », témoignait ainsi Kamal, 18 ans, et arrêté en septembre à Bruxelles. (De Morgen, 20 décembre 2017)
Une action de solidarité sur les réseaux sociaux a été lancée lors du réveillon de Noël en solidarité avec la cinquantaine de soudanais enfermés en attendant leur renvoi. Peter Mertens, président du PTB (ci-contre) a participé à l’action avec le message suivant: « Solidarité avec les 50 réfugiés soudanais qui passent leurs fêtes en détention dans des centres fermés en Belgique parce qu’ils ont voulu fuir leur pays et la torture. Demander l’asile n’est pas un crime, torturer/mentir/violer les droits de l’Homme, oui. Le gouvernement Michel continue à soutenir Francken malgré les témoignages de soudanais torturés, et malgré ses mensonges. Laissons entendre une autre voix, postez une photo de vous avec ce message sur les réseaux sociaux. #Soudan #FranckenMenteur #BelgiqueHospitalière #TousHumains. »
Vous aussi, montrez votre solidarité !
Le gouvernement soutient Francken
Dès le départ, le gouvernement a couvert l’opération et tenté de rassurer. Ainsi, interpellé le 26 septembre en commission parlementaire par Raoul Hedebouw (PTB), le Premier ministre Charles Michel assurait que l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme serait respecté. Ce dernier interdit de renvoyer une personne dans son pays si elle y risque la torture ou des traitements inhumains et dégradants. Le risque serait évalué au cas par cas par l’Office des Étrangers selon Charles Michel.
Aujourd’hui, le Premier ministre affirme qu’une enquête va être ouverte. « Monsieur le Premier ministre, vous nous annoncez aujourd’hui qu’une enquête sera menée, a réagi le 21 décembre au Parlement Raoul Hedebouw. Une enquête ? Mais cette enquête aurait déjà dû avoir lieu ! Vous nous avez garanti, le 26 septembre 2017, que l’Office des étrangers effectuerait une analyse de risques. Dès lors, de quelle enquête parlez-vous ? Est-ce une enquête pour déterminer s’il y a des tortures là-bas ? Est-ce là la question que vous nous posez aujourd’hui, comme si vous l’ignoriez ? »
« Il s’agit de Soudanais qui séjournaient illégalement ici et qui n’avaient pas introduit de demande d’asile. […] Nous devons rapatrier les illégaux dans leur pays. » a répondu la parlementaire N-VA Sarah Smeyers au nom de Francken, qui a préféré rester occupé sur son smartphone tout au long de la séance plénière du parlement. Ce n’est pourtant pas la réalité décrite par Omar, provenant d’une zone de conflit au Soudan donnant automatiquement droit au statut de réfugié en Belgique. Il a expliqué à un journaliste avoir déposé une demande d’asile, avant de la retirer en apprenant la venue de la mission d’identification soudanaise. Il a ensuite signé un document contenant deux phrases acceptant son retour « volontaire »… dans une langue qu’il ne comprend pas.
Aussi ferme envers les faibles que doux envers les puissants
Renvoyer des réfugiés même dans des pays où ceux-ci risquent la torture entre dans le cadre plus large de la vision de la N-VA, qui lutte contre le principe de non-refoulement, présent aussi bien dans la Convention de Genève relative au statut des réfugiés que dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Pour le parti de Bart De Wever, le sort des réfugiés est un détail, et l’important est de mener une politique migratoire « efficace », sans créer d’« appel d’air ». Cette logique a conduit au deal avec la Turquie, avec la Libye et à présent au renvois des soudanais. Avec pour conséquences des camps de réfugiés surpeuplés, le retour de marchés aux esclaves et le renvoi d’opposants politiques directement dans les geôles qu’ils fuyaient.
Les autres partis de la majorité marchent, sans vraiment l’assumer, dans cette logique, et acceptent chaque pas vers des mesures de plus en plus répressives.
L’avantage, pour la N-VA, est de se faire passer pour un parti ferme et conséquent dans sa défense des Belges (et des Flamands) face à la « menace » que constituent les réfugiés, pour mieux occulter leur politique de chouchoutage des grands fraudeurs fiscaux, face auxquels aucune mesure n’a été prise. Quant au reste du gouvernement, s’il exprime un léger malaise face à la situation, il ne peut s’empêcher de soupirer de soulagement à l’idée que le débat se détourne de ses mesures en faveur des multinationales et de ses attaques sur les pensions.
Concentration de pouvoir
Par ailleurs, cette affaire soulève la question de l’inquiétante mise hors jeu du Parlement. Le pouvoir se concentre de plus en plus dans les cabinets ministériels et les états-majors des partis, bien à l’abri des regards. La N-VA utilise le thème de l’immigration pour réduire l’espace démocratique sur l’ensemble des questions politiques. De plus en plus, les parlementaires reçoivent des textes à voter à la dernière minute, rendant impossible de les analyser et d’en débattre réellement au parlement et encore moins sur la place publique.
Dans cette affaire-ci, le Parlement est au mieux mis devant le fait accompli, mais n’a souvent même pas accès aux informations, quand on ne lui sert pas tout simplement des mensonges. Deux mois après la venue de la mission d’identification soudanaise en Belgique, on ne sait toujours pas qui était précisément au courant ni comment la décision a été prise. La décision n’a en tout cas donné lieu à aucune discussion formelle au conseil des ministres. Il s’agirait d’une « collaboration technique de l’Office des Etrangers » qui ne doit par conséquent pas être soumise au conseil des ministres, ni être mise sur papier.
Par ailleurs, Theo Francken a affirmé que les Nations Unies étaient impliquées depuis le départ, ce qui a depuis été formellement démenti par leur porte-parole. Ensuite, il a assuré qu’aucun vol vers le Soudan n’était prévu en janvier, alors qu’un vol était bel et bien prévu le 13 janvier.
Quelle alternative ?
Il est évident qu’un seul pays ne peut pas faire face à l’arrivée de plusieurs millions de réfugiés. Une réponse collective doit être apportée à ce genre de crise afin que les réfugiés puissent être répartis dans différents pays, et que les pays qui doivent en accueillir le plus reçoivent un soutien (financier mais aussi logistique) des autres pays pour pouvoir le faire. C’est d’ailleurs l’esprit de la Convention de Genève relative au statut de réfugié.
L’Europe doit également jouer un rôle dans la résolution de cette crise. Des routes légales et sûres doivent être mises en places afin de pouvoir se rendre en Europe. Cela sauverait des milliers de vies (33 000 morts en Méditerranée depuis 2000), et cela permettrait de casser le business des passeurs. Au sein de l’Europe, un plan de répartition obligatoire doit être mis en place.
Enfin, des mesures doivent être prises pour éviter que les gens ne doivent fuir leur pays. La Belgique doit cesser de prendre part aux guerres comme celles menées en Irak, en Afghanistan et en Libye et qui ont mis des millions de gens en exil. La coopération au développement doit réellement venir en aide aux pays du sud pour se développer, et non pour servir les intérêts de notre pays comme c’est le cas actuellement. Des mesures urgentes doivent être prises contre le réchauffement climatique qui va également mettre des millions de gens sur les routes de l’exil.