Une délégation soudanaise est invitée par le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken (N-VA) pour venir identifier et ramener les réfugiés soudanais arrêtés dans le parc Maximilien et aux alentours de la gare du Nord à Bruxelles. Après les rafles policières des dernières semaines, la politique de #nettoyage de Francken prend une dimension supplémentaire.
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« 14 personnes arrêtées ce matin dans le parc Maximilien et 9 dans la gare du Nord, 3 affirment être mineurs. Selon la police, presque plus personne dans le parc. #opkuisen (nettoyer, NdlR) » postait Theo Francken sur Facebook la semaine passée. A présent, Francken fait venir une délégation du Soudan afin de pouvoir identifier les personnes arrêtées et les renvoyer au Soudan. Près de 60 % des Soudanais qui déposent une demande d’asile sont pourtant reconnus comme réfugiés au sens de la Convention de Genève relative au statut de réfugié. Ce qui signifie qu’ils fuient effectivement un risque de persécution sur base de leur origine ethnique, de leur nationalité, de leur croyance religieuse, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques dans leur pays et qu’ils ont donc droit à recevoir une protection. Mais Francken fait venir des représentants de ce pays pour identifier et ramener ces personnes…
Selon le spécialiste de l’Afrique Koen Vlassenroot, de l’université de Gand, il y a d’ailleurs « certainement des membres des services secrets au sein de cette délégation ».1 Faire venir une délégation soudanaise pour identifier des réfugiés est en effet une première en Europe, dénoncée par de nombreuses organisations des droits de l’Homme tel que Human Rights Watch et 11.11.11. Mais pour Francken, les soudanais qui ne demandent pas l’asile en Belgique sont des « illégaux » et doivent donc être renvoyés au Soudan.
Pourquoi ne demandent-ils pas l’asile en Belgique ?
Cela fait plusieurs semaines que quelques centaines de migrants étaient dans le parc Maximilien et aux alentours de la gare du Nord à Bruxelles, en attendant de pouvoir trouver une manière de se rendre au Royaume-Uni. « [Ces migrants] ne veulent pas de la Belgique, et ces gens, je vais les arrêter et les renvoyer dans leur pays s’ils ne veulent pas le faire volontairement » expliquait Francken il y a trois semaines à VTM. « Ces gens ne sont pas les bienvenus. C’est le message que nous devons leur communiquer » affirmait quant à lui le cabinet du ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA).2 Les opérations policières se sont alors multipliées afin de chasser les migrants du parc Maximilien et des alentours de la gare du Nord. Les affaires personnelles des migrants (sac de couchage, etc) qu’ils laissaient dans leur fuite étaient systématiquement confisquées et jetées. 147 personnes ont également été arrêtées et enfermées en centres fermés. Jan Jambon se réjouissait la semaine passée à la radio du succès des opérations de harcèlement policier dans le parc Maximilien : « Je pense que cela crée un effet dissuasif. »3
D’après le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, son administration aurait été « expliquer leurs droits et leurs devoirs à plusieurs reprises à ces personnes et comment la procédure d’asile fonctionne ». « Ils ont trois options : demander l’asile, le retour volontaire ou être enfermé et renvoyé » dixit Francken.4
En réalité, la première option n’est pas réelle. Theo Francken a en effet déjà clairement fait savoir que le règlement européen dit de « Dublin » serait appliqué. Cela signifie que les migrants qui se sont fait enregistrer en passant par l’Italie y seront automatiquement renvoyés s’ils demandent l’asile en Belgique. Francken lui-même reconnaît pourtant que les conditions d’accueil n’y sont pas satisfaisantes : « un accueil correct n’y est pas assuré et les hotspots ne sont pas en capacité de fonctionner ».5
Quant à l’information donnée par ses services de l’immigration aux migrants, il s’agit d’un tract invitant les migrants à retourner volontairement, avec une photo d’un bagage. Beaucoup d’entre eux ne connaissent en réalité pas leurs droits et ont peur. Les propos de Francken, l’action des services de l’immigration et les opérations de la police n’ont d’ailleurs rien pour les rassurer. Et ce n’est pas la récente annonce de collaboration de Francken avec le Soudan que ces réfugiés ont fuit qui va agrandir leur confiance dans le gouvernement belge quant à ses intentions.
Ennemi hier, ami aujourd’hui
Encore considéré comme un dictateur infréquentable hier – et pour cette raison poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerres et crimes contre l’humanité commis durant la guerre du Darfour – le président du Soudan Omar el-Béchir semble de nouveau être entré dans les bonnes grâces des États-Unis et de l’Union européenne depuis qu’il soutient l’Arabie saoudite dans sa guerre au Yémen et qu’il aide l’Union Européenne à réduire l’arrivée de migrants vers l’Europe.
Les organisations des droits de l’Homme en Belgique s’inquiètent que le gouvernement soudanais ne vienne chercher ici ses opposants politiques afin de les ramener tout droit dans leurs cellules. « S’ils sont renvoyés chez eux, ces gens peuvent être poursuivis. Et s’ils sont identifiés en Belgique par les autorités soudanaises et qu’ils font une demande d’asile en Belgique, leurs familles peuvent subir des représailles. Nous connaissons des cas, en Somalie et au Soudan », explique Vanessa Saenen, du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies.
Mettre fin à la crise au parc Maximilien
David Pestieau, vice-président du PTB, réagissait sur Facebook : « Il y a des gens qui fuient la misère et les persécutions, qui traversent des déserts, qui survivent à la traversée de la Méditerranée, qui marchent des milliers de kilomètres. Quand ils arrivent à Bruxelles, ils vont se faire repérer par les autorités de leur pays d’origine et renvoyer par notre police. On comprend mieux ce que voulait dire Francken quand il parlait de “nettoyer” (#opkuisen) le parc Maximilien. Et le comble, c’est qu’il parle de “collaboration technique” comme s’il évoquait un échange de matériel. Dégoûtant. »
Il est temps de s’attaquer aux causes des migrations (climat, guerre, misère…) dont nos gouvernants sont responsables. Et permettre un accueil humain à ceux et celles qui franchissent tous les obstacles et qui arrivent chez nous. Comme l’a dit l’auteure Fatou Diome à ManiFiesta ce week-end : « Le Nord vient prendre les matières premières du Sud, les transforme en argent dans leur pays. Les gens du Sud qui sont affamés vont suivre les flèches du capital. Il n’y a aucune raison pour que les marchandises voyagent et pas les humains. »
Les ONG activent sur le terrain réclament depuis des semaines l’ouverture d’un centre d’accueil provisoire pour les personnes dans le parc Maximilien et aux alentours de la gare du Nord. Ce centre permettrait d’éviter que ces personnes ne se retrouvent dans la rue, sans presque aucun accès à des toilettes ou à un point d’eau. Dans ce centre d’accueil, des informations objectives pourraient être fournies à ces personnes, notamment en ce qui concerne leurs possibilités de demander l’asile en Belgique. De nombreux témoignages de réfugiés indiquent en effet que ces personnes recherchent surtout une protection et qu’elles demanderaient l’asile en Belgique si elles recevaient une information correcte et de la part de personnes à qui elles font confiance. Loin donc, de la politique du #opkuisen de Francken avec ses rafles policières et ses amis soudanais.