Le secrétaire d’Etat « contre l’asile et l’intégration » présentait sa note de politique générale en commission parlementaire mercredi dernier. Un fil rouge se dégage de la note : la fin de la politique d’asile.
Auteurs : Max Vancauwenberge, Loïc Fraiture
Remettre en cause et contourner la Convention de Genève
Francken dit vouloir revenir « à l’esprit initial de la Convention relative au statut des réfugiés, à savoir offrir un instrument de protection temporaire et non pas un canal migratoire permanent ». En réalité, la Convention de Genève a pour but de faire respecter dans la pratique « le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays devant la persécution » défini par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 à l’article 14. « L’esprit initial » du droit à l’asile, c’est de permettre à chaque personne fuyant les persécutions de pouvoir recevoir une protection dans un autre État.
Mais comme il le précisait récemment dans une interview au magazine Knack, Théo Francken aimerait « moderniser » la Convention de Genève. En attendant, le secrétaire d’État a pris et continue de prendre de nombreuses mesures visant à contourner le droit à l’asile.
Décourager les réfugiés de venir et rester en Belgique
L’intégration des réfugiés arrivés en 2015 est un défi majeur. Mais la priorité de Francken consiste surtout à les décourager de rester en Belgique, et même à pouvoir les renvoyer de force lorsque c’est possible.
Le secrétaire d’Etat se félicite d’avoir pu diminuer l’arrivée de réfugiés en Belgique en 2015 en leur transmettant une lettre d’information « afin de leur donner une idée réaliste des procédures qui les attendaient ainsi que le sobre accueil ». Depuis septembre 2015, Francken a en effet envoyé à 4 reprises une lettre aux demandeurs d’asile (irakiens et afghans)[1]. Toutes ces lettres, loin d’avoir pour objectif de « donner une idée réaliste des procédures », contenaient au contraire des informations incomplètes et parfois fausses avec pour seul but de décourager les demandeurs d’asile d’introduire leur demande en Belgique.
Ensuite, Francken veut privilégier l’accueil collectif plutôt qu’individuel des demandeurs. L’accueil collectif, qui nécessite un personnel d’encadrement plus important, coûte pourtant plus cher et donne de moins bons résultats en matière d’intégration, tout en étant beaucoup plus inconfortable pour les réfugiés (et les travailleurs sociaux).
Francken a également réformé la loi en juillet dernier afin que chaque réfugié puisse, même après avoir obtenu le statut de protection, dorénavant être renvoyé de force dans son pays d’origine « s’il s’avère que les conditions ayant abouti à leur reconnaissance, ont cessé d’exister », c’est-à-dire si la guerre y est terminée. Ne pas savoir si vous serez encore en Belgique l’année prochaine ne va absolument pas favoriser l’intégration des réfugiés, que du contraire. Qui aura envie de s’engager dans le comité de quartier ou de l’école par exemple, si vous n’êtes pas sûr de pouvoir rester, si vous ne restez finalement qu’un étranger « en sursis » ? Quel employeur voudra vous engager s’il n’est pas sûr que vous puissiez rester ? Lorsque la guerre sera terminée dans le pays d’origine des réfugiés, il est probable qu’une partie d’entre eux y retournent. C’est même souhaitable pour leur pays d’origine afin d’aider à la reconstruction là-bas. Mais une personne ayant trouvé un emploi ici, dont ses enfants ont appris notre langue à l’école, ayant établi des connaissances, etc. doit aussi pouvoir avoir le choix de rester ici.
Enfin, pouvoir faire venir son époux ou épouse et ses enfants est également un élément essentiel pour favoriser l’intégration des nouveaux venus en Belgique. C’est aussi un élément crucial pour le bien-être des réfugiés : ils ont le droit de savoir leur famille saine et sauve avec eux, et pas en train d’attendre dans une zone de bombardement ou retenus par des passeurs sur la route de l’exile. Or, Francken veut au contraire rendre le regroupement familial plus difficile pour les réfugiés. L’année passée, la durée du traitement d’une demande de regroupement familial est passée de 6 à 9 mois. De plus, ce titre de séjour devra être renouvelé chaque année pendant 5 ans et pourra être retiré plus facilement également. Une épée de Damoclès sur chaque famille…
Ne pas améliorer la situation existante
On ne compte plus les rapports cinglants de la part d’ONG, les condamnations en justice, … et les témoignages affligeants récoltés sur le terrain vis-à-vis de l’accueil en Belgique. Un rapport au vitriole du Médiateur Fédéral pointait dernièrement les importants dysfonctionnements en matière de régularisation pour motif médical [2]. Pourtant, rien dans la note de Francken ne tire le bilan de ses deux années de mandat. Rien n’est prévu pour améliorer l’accueil, malgré l’urgence de certaines réformes. Au contraire, Francken s’obstine dans les coupes, les suppressions de place et l’évincement des intervenants associatifs. Dans une situation de pénurie organisée par l’État lui-même afin de rester dissuasif, l’engagement des citoyens et le volontarisme des différents acteurs concernés reste le seul rempart contre la déshumanisation de l’accueil des réfugiés.
Renvoyer les réfugiés en Grèce
A défaut de pouvoir les renvoyer chez eux – le principe de « non-refoulement » de la Convention de Genève interdit à un État de renvoyer une personne chez elle y craignant des persécutions – Francken souhaite maximiser les transferts « Dublin », c’est-à-dire renvoyer les réfugiés dans le premier pays européen par lequel ils sont passés, dans la majorité des cas en Grèce.
La Belgique a pourtant déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour avoir renvoyé des réfugiés en Grèce alors que les conditions d’accueil ne le permettaient pas. Francken affirme à présent que les conditions d’accueil s’y sont améliorées, ce est pourtant en contradiction avec ses propres dires. Il y a 15 jours, en commission parlementaire, le secrétaire D’État expliquait qu’il avait rappelé les collaborateurs belges travaillant dans les centres d’accueil en Grèce car « l’insécurité s’accentue et nous ne pouvons faire courir aucun risque à notre personnel ».
La Grèce a été en première ligne en 2015 en ce qui concerne l’accueil des réfugiés. A certaines périodes, plus de 2000 réfugiés arrivaient chaque jour sur les côtes grecques. En comparaison, Francken se disait incapable d’enregistrer plus de 250 réfugiés par jour. Un mécanisme de solidarité – encore très insuffisant – a été mis en place afin d’aider la Grèce en relocalisant des réfugiés à travers l’Europe. Francken affirmait d’ailleurs encore il y a deux semaines à ce propos que « Notre pays a toujours soutenu la mise en place, depuis 2015, d’un système de relocalisation inspiré par la responsabilité et la solidarité. Les autres Etats membres devaient aider la Grèce et l’Italie par le biais de la reprise de demandeurs d’asile et l’octroi d’une assistance opérationnelle ». Jusqu’à présent, seulement 177 personnes ont cependant été relocalisées depuis la Grèce sur les 2415 décidées au niveau européen. Rien ne figure dans sa note de politique générale pour remédier à ce problème et aider la Grèce. Au contraire, Francken veut renvoyer davantage de réfugiés vers ce pays.
Bloquer les réfugiés dans leur région
Dans sa note, Francken précise également qu’il soutient l’orientation européenne visant à « supprimer la possibilité de demander l’asile en Europe dans le cadre d’une migration illégale par bateau ». « Nous devons tenter dans un premier temps d’offrir aux réfugiés un abri sûr et digne à proximité de leur région d’origine » explique notre secrétaire d’État.
Pouvoir être accueilli dans sa région d’origine est en effet une meilleure solution, à condition que cet accueil soit réellement « sûr et digne ». Ce n’est cependant absolument pas le cas et donc contraire à la Convention de Genève. Amnesty International et Human Rights Watch ont déjà publié de nombreux rapports à propos des conditions inhumaines dans lesquelles les réfugiés étaient accueillis en Turquie ou au Liban. Et c’est justement ces conditions d’accueil et l’absence, en pratique, de possibilités légales de venir en Europe qui poussent des réfugiés à faire appel à des passeurs pour venir illégalement par bateau. Francken soutient activement la politique de l’Europe forteresse, qui empêche l’établissement de routes sûres et légales, qui coûte des milliards… et qui provoque la mort de dizaines de milliers de personnes en Méditerranée.
Enfin, il est également nécessaire de rappeler que la seule solution réelle pour mettre fin à la crise des réfugiés est de mettre fin à notre politique d’interventions militaires dans la région de ces 15 dernières années. Ces guerres ont ravagé l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie ou la Libye, pays d’où provenaient ou par lesquels sont passés la majorité des réfugiés ces deux dernières années.
[1]http://ptb.be/articles/francken-etend-sa-campagne-de-dissuasion-aux-refugies-afghans
[2]http://mediateurfederal.be/sites/1070.b.fedimbo.belgium.be/files/resume_rapport_enquete_regularisation_medicale_9ter_-_2016.pdf