Les interventions militaires en Irak, en Afghanistan, en Libye et à présent en Syrie donnent naissance à un chaos permanent et à l’absence de règles de droit. La Belgique pourrait jouer un rôle important et encourager à poursuivre une autre voie. Article paru dans Solidaire du 2 novembre 2015.
Auteur : Marc Botenga
Ces dernières semaines, les rencontres entre les États-Unis et la Russie se sont multipliées. Ces deux grandes puissances mènent effectivement des bombardements en Syrie et pour éviter tout risque d’incident aérien et collision entre leurs avions, Moscou et Washington ont décidé d’adopter de toute urgence un protocole d’accord. Les USA et leurs partenaires occidentaux n’apprécient pas l’intervention russe. Ils reprochent à Moscou de bombarder des rebelles qui n’appartiennent pas au groupe terroriste État islamique (EI). Et donc des rebelles formés et armés par la CIA. Le fait que deux grandes puissances militaires effectuent au même moment des opérations au même endroit, sans être vraiment du même côté, est peu rassurant. Le président français, François Hollande, a ouvertement exprimé sa crainte de voir éclater une « guerre totale ». La nécessité d’une politique de paix active se fait plus que jamais sentir. Pourtant, le Premier ministre Charles Michel envisage tout le contraire dans sa déclaration gouvernementale puisqu’il n’exclut pas une intervention militaire belge en Syrie, bien entendu « dans le respect du droit international ». Or, une telle intervention serait dangereuse et contre-productive. Les interventions militaires, qu’elles soient belges, américaines ou russes, ne résoudront pas le conflit.
Des interventions non couvertes par une résolution de l’ONU
Plus d’une douzaine de pays sont actuellement directement impliqués dans les raids aériens en Syrie. Même Israël a déjà effectué des frappes aériennes. Aucune de ces interventions militaires n’est couverte par une résolution des Nations unies. Les États-Unis ont intégré à la coalition pro-occidentale des dictatures autoritaires comme le Qatar, l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis. Par ailleurs, cette coalition n’a pas non plus obtenu l’accord du gouvernement syrien pour combattre l’EI sur son territoire. Il s’agit là d’une violation flagrante de la Charte des Nations unies qui oblige les signataires à chercher des solutions pacifiques et n’autorise les interventions militaires que dans des cas très exceptionnels, comme l’autodéfense par exemple. La Belgique est un des États membres de l’ONU, et le fait que des violations de ce type ne préoccupent pas le moins du monde notre Premier ministre est interpellant.
15 années de guerre contre le droit international
Cette évolution inquiétante est la conséquence de 15 années de guerre – principalement occidentale – contre le droit international. On l’oublie trop souvent pourtant il est bon de rappeler que depuis 1999, les coalitions occidentales ont mené toute une série d’interventions illégales. En 1999, l’Otan bombarde illégalement l’ex-Yougoslavie et depuis, la Belgique participe avec ses alliés à la liquidation progressive de toutes les garanties de droit international pour la paix et la sécurité. Vient ensuite l’invasion de l’Afghanistan par les Américains et les Britanniques en 2001. Une intervention dont la légitimité est également contestée. Les États-Unis ont évoqué l’autodéfense, alors que tout le monde sait que les attentats du 11 septembre n’ont absolument pas été commis par l’État afghan. La plupart des terroristes du groupe provenaient d’Arabie saoudite. Pour l’Américaine Marjorie Cohn, professeur de droit international, il n’est ici absolument pas question d’autodéfense.
En 2003, une autre étape est franchie. L’Irak est illégalement anéantie par une coalition occidentale. Cette fois, le prétexte invoqué sont les prétendues « armes de destruction massive » du président Saddam Hussein. Des armes qui n’ont d’ailleurs jamais été trouvées. Officiellement, la Belgique n’est pas intervenue, mais le port d’Anvers a bien servi de plaque tournante pour le matériel de guerre américain.
Puis ce fut au tour de la Libye d’être détruite par les bombardements en 2011. La coalition occidentale a ici abusé de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU pour « renverser le régime » et exécuter Kadhafi. La Belgique a ardemment pris part aux opérations, tandis que la Russie et la Chine se sont indignées.
C’est à présent au tour du droit international humanitaire d’être visé. Le 3 octobre dernier, les États-Unis ont bombardé en Afghanistan un hôpital de Médecins sans frontières. Cette attaque constitue indéniablement une violation du droit international humanitaire. Selon la Convention de Genève (CG) relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, les hôpitaux bénéficient d’une protection spéciale. On comprend dès lors mieux pourquoi l’OTAN a refusé la tenue d’une enquête indépendante. Une fois encore, on se demande pourquoi le gouvernement belge ne réclame pas cette enquête.
Profusion de victimes civiles
Sur le plan humanitaire, la situation est dramatique. Le ministre américain des Affaires étrangères, John Kerry, a déclaré – sans ironie – que l’action militaire russe contre l’EI entraînerait une escalade du conflit avec encore plus de victimes innocentes et de réfugiés. Kerry sait de quoi il parle. Le 4 avril, Danya Laith Hazem, une Irakienne de huit ans, perdait la vie, en même temps que son père, sa mère enceinte, et ses grands-parents. Elle aurait été tuée lors d’un raid aérien de la coalition internationale, dont la Belgique fait également partie. Le 30 avril, 52 civils syriens ont été tués par un bombardement américain. Au Yémen, la coalition internationale a bombardé un orphelinat, des hôpitaux et plusieurs fêtes de mariage.
Que ce soit en Libye, au Yémen, en Afghanistan, en Syrie ou en Irak, on ne compte plus les victimes civiles. On assiste à la mise en place d’un nouvel ordre mondial au Proche-Orient, un ordre caractérisé par un chaos permanent et l’absence de règles de droit. Pourquoi, dans ce cas, la Russie ou qui que ce soit d’autre devrait à l’avenir encore respecter le droit international, alors que la Belgique et ses alliés le bafouent depuis deux décennies déjà ?
Existe-t-il une alternative à l’anarchie actuelle ?
Sur le plan de la sécurité, l’anarchie internationale qui règne actuellement est surtout dangereuse pour des petits pays comme la Belgique. Pourtant, la Belgique pourrait construire en Syrie un ordre mondial différent, un ordre caractérisé par le dialogue, le droit international et des accords de paix.
Dans ce conflit, il importe de donner au cessez-le-feu une priorité absolue. La guerre civile libanaise (1975-1990) a montré que c’était possible. Là aussi le fossé entre les parties en conflit était immense, malgré tout on est parvenu à mettre fin à la guerre civile. Grâce à l’accord de Taëf en 1989, pourtant loin d’être parfait, on a pu mettre un terme à une guerre civile compliquée qui a sévi durant quinze ans et fait 150 000 victimes.
La Belgique doit s’investir dans l’organisation d’une conférence de paix régionale réunissant autour de la table toutes les parties en conflit. En tant que membre actif de la coalition internationale pro-occidentale, la Belgique peut et doit jouer un rôle constructif.
Si ce nouvel ordre mondial commence par des négociations de paix en Syrie, il est clair qu’il ne s’arrête pas là. La Charte des Nations unies doit à nouveau garantir paix et sécurité. Cela signifie qu’en tant qu’État membre des Nations unies, nous ne pouvons plus soutenir les interventions unilatérales. C’est un signal que la Belgique peut transmettre en cessant toute participation à des opérations militaires non couvertes par l’ONU. Concrètement, cela veut dire un retrait complet d’Irak et d’Afghanistan, et surtout aucune participation à la guerre en Syrie.
Ce signal va toutefois directement à l’encontre de l’accord de gouvernement qui prévoit pour la Belgique de réduire au minimum son soutien à l’ONU et de multiplier les interventions. Le gouvernement espère en effet que « l’OTAN continuera de relever les nouveaux défis ». Une logique qui a échoué. Mais le gouvernement Michel est-il prêt à revoir ses priorités comme l’exigent la paix et la sécurité internationales ?